Photo: The Menu
Texte par: Mélodie Nelson et Natalia Wysocka
Nos livres préférés.
Mélodie: J’ai aimé Cher Connard, car c’est un roman de réconciliation. Je crois que beaucoup de personnes lisent Virginie Despentes en pensant qu’elle pulvérisera et détruira tout, mais pour moi, cette autrice n’a jamais détruit, mais plutôt révélé. Son dernier livre est pour moi un appel à l’écoute des autres, à une nouvelle forme de tolérance. Nous sommes tellement écrasées par tout ce qui extérieur à nous – la crise climatique, la pandémie, la politique – que le roman de Despentes propose de moins se couper des autres, de moins les camper dans un seul rôle. Il n’y a pas de méchants et il n’y a pas de modèles.
L’inconduite d’Emma Becker m’a soufflée, parce que j’aurais voulu être à côté d’elle et me prendre en photo et juger lesquelles nous garderions pour nous et lesquelles nous partagerions. Nous pourrions aussi parler de l’amant qui ne voulait pas qu’elle lui demande des doigts, parce qu’il croyait alors que sa langue ne suffisait pas et sa queue non plus, évidemment. Je voudrais parler de vulgarités avec elle et de nos enfants et de comment c’est, prendre dans ses bras des hommes et prendre dans ses bras des enfants. Je voudrais rire de ses expressions (« C’est la bite de Schrödinger »), parce que Becker est très drôle, bien plus drôle que dangereuse, mais trop de personnes pensent que parler de cul sans métaphores ni roses rouges et roses c’est être dangereuse.
J’aime toujours Constance Debré et je ne comprends pas encore que je n’ai pas rêvé que nous nous échangions des messages privés sur Instagram.
J’ai été renversée par Nightcrawling de Leila Mottley. Basée sur une affaire de corruption et d’agression policière à Oakland, c’est un livre sur l’adolescence, l’attente, les bouleversements, le manque de bouleversements et le travail du sexe comme possibilité de survie.
J’ai beaucoup aimé Whore of New York: A Confession de Liara Roux. «I was crying all last night because I’m not a lesbian.» Plein de citations aussi divertissantes, de potinage dans l’industrie, de mises en contexte de ce que c’est, être une travailleuse du sexe menacée par la criminalisation.
Je viens de commencer Luster, de Raven Leilani, grâce à Natalia et c’est magnifique, brillant et rythmé. Je ne peux qu’adorer un personnage principal qui se demande, dès la première sortie avec un mec, s’il fait des cunnis enthousiastes ou s’il a tendance à s’endormir grave.
Natalia: L’essai Porn Work - Sex, Labor, and Late Capitalism, de Heather Berg, est une lecture essentielle pour comprendre, réellement, tous les enjeux liés à l’industrie des films pour adultes.
Ce livre comporte également une des meilleures citations de l’année, à savoir celle du toujours brillant Conner Habib qui déclare: «Quand les gens me disent qu’ils aiment mon travail, je leur rétorque: soyez honnêtes. Ce que vous voulez réellement dire, c’est que vous vous êtes masturbés en regardant mes films. Le travail en tant que tel, vous ne l’aimez pas. Vous n’y pensez même pas.»
Sinon, How Sex Changed the Internet and the Internet Changed Sex, l’ouvrage relativement technique de Samantha Cole, journaliste techno pour Vice, démontre bien comment internet et sexualité sont interconnectés, et n’en déplaise aux sénateurs fâchés, que sitôt qu’un ordi a été créé, c’est cette fonction (de la pornographie! De la nudité!) qui a été explorée en premier.
Et puis, j’ai adoré This is My Real Name, une bio dans laquelle Cid V Brunet retrace ses dix années passées à travailler dans les stripclubs de l’Ontario et de Montréal.
Star de l’année.
Mélodie et Natalia: Alexxa!
Mélodie: (Et Annie Ernaux.)
Meilleur podcast.
Mélodie: Moi, mon podcast préféré, c’était Run, Baby, Run. Une femme bunny Playboy, accusée d’être une meurtrière, qui adore les uniformes de policiers, qui réussit à s’évader de prison et à faire semblant d’être une nouvelle mariée pour être acceptée au Canada, c’est impossible que je ne la vénère pas.
Natalia: Je dirais Hot Money, l’enquête sur Pornhub du Financial Times. Même si, dans le premier épisode, le coanimateur, Alex Barker, lance des phrases et pose des questions qui font craindre le pire, il se fait vite rabrouer par Stoya. L’actrice pour adultes les met d’ailleurs rapidement, lui et la journaliste Patricia Nilsson, sur le droit chemin: «Si vous essayez de faire un balado sur la porno, vous allez vous planter. Vous êtes le Financial Times. Faites ce que vous savez faire: suivez l’argent. Follow the money.» Ils ont bien fait de l’écouter. (Règle d’or: écouter les personnes concernées.)
Découverte de l’année.
Mélodie: Les pichets de margarita au Icehouse - et Kamasi Washington. Je ne connais rien en musique et j’adore les suggestions des autres. Celle-ci me vient d’un ami qui a les plus beaux bébés chiens ever.
Natalia: La plume, la perception et la précision de Maxime Holliday, qui a publié une lettre ouverte qui a résonné très fort en réponse à la pièce La Paix des femmes, présentée au Théâtre la Bordée.
Coup de coeur.
Mélodie: Un arbre nuage quand il pleut, près de Tousignant. L’expo de Marie Atcheba, Feeling cute, might delete it later, à la Galerie POPOP. Et toutes mes professeures à l’EBSI. Pour vrai, même si ça fait lèche-cul. Il y en a même une qui ressemble à ma mère et c’était trop bien, me retrouver trois heures avec ma mère tous les mercredis matin.
Natalia: Conner Habib qui publie son premier roman, Hawk Mountain. Une histoire d’horreur qui explore l’adolescence, l’intimidation, le harcèlement et la honte - et qui prend tous les chemins auxquels on ne s’attend pas afin d’en arriver à la fatidique conclusion que «personne qui est censé nous sauver ne nous sauvera».
Séries et films favoris.
Mélodie: La série polonaise Elles brillent (Brokat). J’aime toutes les émissions qui révèlent les travailleuses du sexe comme des personnes qui ont de l’agentivité et non comme des victimes. J’écris ça et je trouve que c’est la phrase la plus niaiseuse ever, mais c’est parce que c’est réellement trop difficile pour trop d’artistes, de croire que les travailleuses du sexe sont capables de penser.
J’ai également adoré White Lotus et tous les mèmes qui se moquaient de la finale sur Insta. Même si beaucoup de travailleuses du sexe ont critiqué le fait que Mia demandait l’argent après sa performance, comme quoi c’était impossible. C’est oublié que les expériences sont diverses. J’ai rarement demandé l’argent d’abord; j’espérais que les clients seraient assez classe pour y penser sans que je sois obligée de le leur rappeler. Et nous ne sommes pas toutes professionnelles; nous faisons plein d’erreurs dans nos tentatives de faire plus girlfriends que pornstars.
Natalia: J’ai adoré la performance impressionnante de justesse et de nuances de Revika Reustle, alias Zelda Morrison, dans Pleasure. Le film, lui, et surtout la couverture médiatique qui s’en est suivie, nettement moins. Reste que l’ex-actrice pornographique est brillante dans un rôle de soutien difficile et délicat, baignée dans l’ombre de la vedette de l’histoire.
Sinon, mon film de l’année est sans contredit The Menu, qui pose un regard acéré et intelligent sur le travail, sur l’argent et sur le pouvoir, et qui dresse avec adresse des parallèles entre l’industrie du sexe et celle de la restauration. Qui sert, qui prend, qui donne, qui s’approprie, qui récolte? Enfin un personnage de tds qui n’est pas, genre, Stormy dans Dancing at the Blue Iguana.
Moments marquants.
Mélodie: Quand l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry a reconnu que ses prises de position pour la criminalisation de certains aspects liés au travail du sexe étaient nuisibles et qu’elle a publiquement reconnu réévaluer l’ensemble de ses prises de position à ce sujet. Aussi: la loi C-36 au banc des accusés.
Natalia: Quand PSPP a pris la défense de la candidate péquiste Andréanne Fiola et qu’il s’est presque mis à pleurer devant les caméras en décriant l’hypocrisie des gens. Quand Julien Guy-Béland a pris la parole pour remettre en question la position d’«un homme qui porte le orange». Quand Stéphan Bureau s’est confié sur sa vulnérabilité durant une entrevue avec Mélodie pour sa magnifique Mécanique des désirs.
Moments les plus troublants.
Mélodie: J’ai choisi de tout oublier, mais je trouve que trop de femmes jugent les autres femmes et que la misogynie internalisée a montré ses griffes/ongles acérés et manucurés avec beaucoup trop de joie après avoir capoté sur une histoire de travail et de petits oursons gélatineux.
Natalia: L’accident horrible de l’actrice Adriana Chechik dans le cadre de TwitchCon, un événement qui a été assez crétin pour pousser ses invités à sauter dans une «piscine» à cubes de mousse érigée sur un plancher de ciment. Le décès de Carol Leigh, le 16 novembre dernier, une militante américaine emblématique qui a popularisé le terme «sex work». Et, dans un tout autre ordre d’idées, le New Yorker, qui a offert une tribune sur un plateau d’argent à une militante abolitionniste issue d’une organisation abonnée aux marathons de prière visant à «sauver ses ouailles de tentations homosexuelles» et qui croit que Pretty Woman représente la perdition de l’Occident. De cette entrevue a été tiré un portrait élogieux qui ne remet jamais ses propos dangereux en question, et qui traite chacune de ses déclarations comme parole d’Évangile. Déception massive, New Yorker.
Notre frustration éternelle.
Mélodie: Mon double-menton.
Natalia: Les statistiques non-appuyées lancées autant dans les médias (pic d'occurrence: durant le Grand Prix) que dans le cadre d’une projection de film au Cinéma Moderne. J’adore le Cinéma Moderne. J’aime nettement moins les cinéastes qui lancent des énormités lors d’un Q&A («100% des travailleuses du sexe ressortent traumatisées de leur expérience») et qui rabrouent un spectateur qui ose suggérer le contraire et qui soulève les inconsistances d’un tel discours. (Bravo à ce spectateur, d'ailleurs.)
Meilleures captures d’écran de messages privés.
Mélodie: «J’ai pris en photo ma serviette sanitaire et ça m’a rappelé mon œuvre préférée de Marcelle Ferron.»
«Je sais pas si c’est vrai, mais j’ai lu un livre de Fancy Nancy (donc ma source d’informations est pas top top sûre) qu’une chatte qui vient d’avoir des bébés s’appelle une Queen en anglais. Faque c’est ça.»
Natalia: Définitivement un texto de Mélodie qui me remercie avec toute la sincérité du monde d’être «aussi loyale que les caniches et le carcajou de Paris Hilton». Après avoir googlé «Paris Hilton - Carcajou», nous avons non seulement réalisé que ce n’est pas un carcajou, mais bien un kinkajou - et que ledit animal s’est rendu célèbre pour avoir mordu l’héritière.
Jouet pour enfants inutile.
Mélodie: Playmobil hipster avec trottinette électrique.
Natalia: Euh.
Meilleure sorte de chips.
Mélodie: Croustilles au poulet frit à égalité avec croustilles à la frite sauce mangées avec un fruit du jacquier dedans.
Natalia: Tous les nachos dégustés en bonne compagnie - Mélodie, Murat, Mara, Michael, Marilu!
Nos espoirs.
Mélodie: Que les bibliothécaires soient reconnues comme les sauveuses de l’humanité. Et que je devienne plus humble.
Natalia: Que Twitter ne devienne pas horrible pour les travailleuses du sexe. Que le projet d’abolir la pornographie proposé par le nouveau sénateur de l’Ohio, J.D. Vance (le gars qui a écrit Hillbilly Elegy, et qui a vu sa vie adaptée au cinéma par Ron Howard) soit jugé pour ce qu’il est réellement: complètement absurde. Que les politiciens comprennent que plaider pour une vérification d’âge accrue sur internet ouvre la porte à d'innombrables dérives. Que les journalistes commencent à traiter les sujets reliés au travail du sexe avec la même rigueur que tous les autres sujets de l’univers. Oh, et que cessent les articles du type «Peut-on être féministe et aimer la pornographie?» S’il vous plaît.
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