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L’enregistreuse était mal calibrée et la pièce mal insonorisée, mais on ne savait pas où se trouvait le bouton «pause», alors ça a donné ceci.

Pour marquer la sortie de son nouveau livre, La Mécanique des désirs, Mélodie a donné plein d’entrevues. Comme celle-ci, celle-ci ou encore celle-ci (il n’y a que Mélodie pour soutirer des confidences à Stéphan Bureau après 7 minutes et demie).

Dans un style nettement moins formel, nous vous proposons ci-haut la nôtre, composée de quelques questions. Ça nous a tout pris pour ne pas digresser et éclater de rire, alors nous nous excusons pour les silences où nous tentons de reprendre notre calme, pour les «wow» pas rapport, pour les «oh my god» récurrents, pour le son de nos verres sur la table et pour la précision sur les topinambours (euh).

Bonne écoute!

Natalia X

(Le reste de notre entrevue ensemble se trouve à l’écrit ci-dessous, et le livre de Mélodie se trouve partout, notamment au Livre à soi d’Olivia Sofia, où a eu lieu son trop chouette lancement. Ah, et pour référence, l’histoire de la débandade de Enty est détaillée ici.)

Le thème des voeux et des prières parcourt La Mécanique des désirs. Il y a les «chips pliées en deux, pour faire des vœux», les suppliques à la Vierge Marie, les lampions allumés, les heures et leur côté magique (11h11). Est-ce que l’écriture possède pour toi un côté «rituel» ou pas du tout?

Mélodie Nelson: Oh oui. Avant, dans un autre appartement, j’écrivais face à un mur de miroirs. J’avais aussi l’habitude de toujours m’habiller et de me maquiller pour écrire. Parfois, je le fais encore. J’utilise aussi les chandelles que tu me donnes. Je ne les utilise que lorsque j’écris, comme pour créer un cocon.

Au fil des pages, tu fais référence à Josée Hivon, à Daphné B, à Virginie Despentes, à Lorelei Lee (vos oeuvres ont du reste des échos similaires, sa plume me rappelle la tienne). Sens-tu que tu fais partie d’une lignée, en quelque sorte?

Adolescente, j’avais des photos de publicités de parfums et d’Absolut Vodka sur mes murs, et des images imprimées de Bukowski avec des femmes nues sur les genoux. Je ne peux pas me dire sœur si personne ne me choisit sœur avant, ou si les femmes que je perçois comme mes sœurs me sont tellement éloignées et fictives que je peux m’inventer l’une des leurs, comme je le faisais avec Cassiopée, la femme trop belle de la nouvelle qui ouvre Les Contes de la folie ordinaire de Bukowski, la femme trop belle aux prestations tarifées et à la beauté finalement brisée, marquée au couteau.

J’emprunte des habitudes à celles que je veux comme sœurs; à une époque je donnais des cactus comme Cassiopée, comme le souvenir que j’ai, en tout cas, de Cassiopée. Je crois qu’elle donnait des plantes comme d’autres amènent des bouteilles de vin. J’aimais la fiction; je me projetais dans la fiction. Je voulais être un personnage. Je voulais fréquenter des auteurs pour devenir un personnage, pour être créée par quelqu’un d’autre, pour exister par quelqu’un d’autre.

Maintenant, je peux dire plus facilement que je suis liée à plus de femmes qu’avant. Ces femmes nommées – Yvon, Daphné B., Despentes, Duras, j’ajoute Ernaux, Evelyn Lau, Baker, ces femmes qui écrivent – mais aussi des femmes qui me ressemblent autrement. Je pense qu’il y a chez moi un désir d’appartenance et un désir de me trouver dans beaucoup de personnes, et je crois qu’il est possible que d’autres se trouvent en moi. J’ai une amie qui ne boit pas et qui n’a pas eu un accès comparable au mien aux sexualités, dont la mère n’a jamais rien dit sur ce que c’est, embrasser quelqu’un. J’ai des sœurs avec d’autres tabous que les miens, d’autres corps et d’autres façons d’habiter leur corps ou d’en sortir.

Je crois aussi qu’il est important, à travers cette envie de filiation, que je reconnaisse l’apport de femmes précurseures, de femmes à la bravoure parfois oubliée, que la chercheuse et artiste Alex Tigchelaar parvient à sortir et à faire revivre, au gré de ses recherches en archives liées au travail du sexe. Elle publie par exemple des extraits de journaux archivés ou d’enregistrements civils, dans lesquels une femme révèle qu’elle tient un bordel à l’angle de telles rues pour le Lovell’s Directory. Une autre s’autoproclame championne des prostituées et porte une médaille, en 1869. D’autres se débarrassent d’un huissier muni d’une saisie venu les déranger pendant leur travail ou chantent, après un passage en prison, plus de trente minutes ensemble, unies.

Je pourrais dire que je suis dans une lignée de femmes qui n’ont pas peur d’être laides ou de montrer ce qui est laid à l’extérieur d’elles, de femmes que nous voudrions fragiles, mais qui sont fortes et fières.

La fatigue, celle que tu dis ressentir, celle qui te «rend frileuse», se trouve à plusieurs endroits dans le livre. Tu dis être épuisée, lutter pour ne pas t’endormir, vouloir simplement te reposer, parfois t’effondrer. Est-ce qu’écrire est une façon de combattre cette lassitude?

Quand j’écris, effectivement, je ne me trouve pas paresseuse, je me trouve dans une position qui cerne et cible quelque chose, je vais à la rencontre active de ce qui existe déjà, mais que je fais éclore. J’écris toujours au lit, alors je suis quand même près de la fatigue ou de l’inertie. Je veux beaucoup écrire. Je ne veux pas mourir parce que je veux encore beaucoup écrire et être lue.

Dans ton livre, les odeurs ramènent les souvenirs, mais les effacent aussi, parfois. Il y a ce client «qui sent la soupe poulet et nouilles», ces odeurs de cheeseburgers que tu mangeais à ton retour à la maison, «l’odeur du fromage Kraft et de la viande presque brûlée» qui t’empêchent d’«avoir en tête l’odeur des boissons alcoolisées, des corridors et des chambres d’hôtel». Tu écris aussi cette phrase incroyable: «J’avais demandé pardon à Samuel. Je ne sais pas ce que je sentais. Sans doute le latex, l’alcool, le parfum citronné, la mouille et notre fin.» Peux-tu parler de ce que les odeurs, en écriture, représentent pour toi?

OMG je ne sais pas, mais je réussis vraiment à revoir notre four et à sentir à nouveau les cheeseburgers qu’il me faisait et la pâleur de son visage, tellement il était tôt et qu’il ne dormait pas.

Je n’ai pas beaucoup d’odorat, alors peut-être que ce que je sens vraiment gagne en importance. J’aime aussi l’idée d’être le plus présente possible, et cette présence et ce spectacle d’être, cette présence-spectacle me ramène à Artaud, pour qui une performance artistique se devait d’être totale et d’embrasser tous les sens.

Tu évoques souvent les secrets. Ils sont à la fois porteurs d’angoisse (quand tu ne peux pas parler de ton métier d’escorte et faire des choses simples comme aller à la banque pour cette raison) et porteurs de force magique («je désirais être escorte parce que j’étais persuadée que ça allait me révéler des secrets»). Tu es d’ailleurs excellente pour recueillir des confidences de purs inconnus après cinq secondes. Quelle est ta relation aux secrets?

Quand les secrets me concernent, ça m’angoisse énormément. Il y a quelques années, avant d’être mère, je sortais beaucoup et je revenais toujours très saoule chez moi. C’est arrivé plusieurs fois que je rêvais que j’écrivais à des inconnus tous mes secrets ou que j’écrivais des statuts Facebook trop révélateurs. Je me réveillais apeurée et je vérifiais à qui j’avais écrit. Je n’ai finalement jamais écrit mes secrets par erreur, mais beaucoup de statuts Facebook trop intenses.

Les secrets des autres sont merveilleux. La vie des autres est merveilleuse. Je trouve qu’il y a des secrets dans tout; dans la façon que quelqu’un prépare son café, dans le bruit d’une personne quand elle jouit, dans le pourquoi telle couleur est notre couleur préférée.

Dans un passage, tu cites plusieurs extraits de ce que des clients écrivaient sur toi sur des sites spécialisés. Écrire à ton tour sur les clients, en notant leurs comportements, les détails de leur physique, des aspects de leur intimité, était-ce pour toi une façon de reprendre le contrôle en quelque sorte? De changer les règles de l'interaction?

Je n’y ai pas pensé comme ça, mais effectivement, ça joue ce rôle. Ça renverse le rapport des clients qui racontent leurs interactions sur des sites d’hobbyistes. Je ne savais simplement pas comment aborder les clients dans mon livre, alors je les ai regroupés? Ils sont tous si différents, nous ne les pensons pas comme ça, nous pensons à des clients comme nous pensons à une grosse queue bandée identique à toutes les autres grosses queues bandées, mais ce n’est pas ça que j’ai connu, avec les clients.

D’ailleurs, le chapitre dans lequel tu offres des aperçus de multiples clients m’a semblé être le chapitre dans lequel on trouve le plus de «reprises» d’Escorte, que tu as fait paraître en 2010. Qu’en penses-tu?

Oui, c’est vrai. Ce sont des passages que j’ai révisés, coupés, mais ce sont des passages d’Escorte. Je n’ai pas de réflexion par rapport à ces passages, c’est vraiment une suite de personnes que j’ai rencontrées et c’est tout.

J’aurais pu écrire ce qui est resté d’eux, ce que j’ai conservé comme lien, parce que j’ai gardé contact avec quelques-uns de ces hommes, mais je ne l’ai pas écrit. Ils sont restés clients, dans ce livre, et je n’ai pas approfondi mon lien. Je crois que je voulais me dégager de ces relations, lors de l’écriture du livre, mais ces relations sont néanmoins importantes, alors je les ai gardées.

Dans un passage, tu détailles l’agence où tu travaillais. «Un coffre-fort dans le coin, caché par un tissu en dentelle et une fausse plante décorative. Un comptoir, avec des bottins téléphoniques et des chandelles. Dans la pharmacie de la salle de bain, je mettais mon fond de teint et mon baume à lèvres. Il y avait aussi une crème blanchissante. Des rasoirs usagés. Un dentifrice et un rince-bouche, à la disposition de tous.» Quels sentiments ressentais-tu en écrivant ces descriptions?

Surtout du regret de ne pas avoir pris de photos. J’avais pensé amener un appareil-photo parce que je voulais montrer à mon mari dans quel environnement je travaillais. Je ne pensais pas avoir le droit de prendre des photos, alors je n’ai rien fait ni demandé la permission de le faire. Je suis très nostalgique de cette période et de cet endroit, des cartons de pizza, du réfrigérateur qui n’était rempli que de bouteilles de Coca-Cola, du bottin téléphonique dans lequel je mettais des billets de vingt, pour les cacher, si je me faisais voler pendant la soirée. Les bottins téléphoniques, ça n’existe plus.

Je suis très nostalgique de ce qui n'existe plus, comme bientôt le minirail à la Ronde. Je n’ai pas encore annoncé sa disparition aux enfants.

Tu abordes d’ailleurs souvent la question des photos dans ton livre. Tu sembles les percevoir complètement à l’inverse de ce que Susan Sontag a écrit un jour, à savoir: «Just as a camera is a sublimation of the gun, to photograph someone is a subliminal murder - a soft murder.» Tu écris que d’être prise en photo est une affirmation de ce que tu peux être, un fantasme pour toi-même. À quel moment as-tu trouvé ce pouvoir dans les photos, et comment a-t-il évolué au fil du temps?

J’ai toujours souhaité ce pouvoir des photos. Dans mon livre de naissance, mon père avait promis de toujours me prendre en photo, que je serais son modèle et tout. Il a cessé, à un moment donné, et m’a donné son appareil que j’ai brisé en voyage, sans faire exprès, après avoir photographié un homme qui m’avait demandé de lui dire que je l’aimais, alors que je ne l’aimais pas.

J’aurais voulu que mon père me prenne toujours en photo. Je voudrais toujours que quelqu’un voie quelque chose à montrer chez moi. Quelque chose qui n’est pas visible dans le réel, dans le moment réel, qui doit être arrêté, choisi.

Les photos, je les utilise surtout pour montrer ce que je veux, sans y penser vraiment, sauf si je veux avoir l’air brillante, et il est tard et quand il est tard, je ne suis plus brillante.

Les photos me permettent de faire semblant, de jouer. Je montre, mais sans que quiconque sache si je voulais vraiment montrer, et quoi. J’aime être photographiée parce qu’alors, il n’y a pas que moi, mais il y a la vision de moi d’autrui. J’aime que quelqu’un d’autre ajoute quelque chose à ce que je suis. Dans une photo, il n’y a pas que moi. Il y a ce que nous voulons que je sois.

Mais il y a surtout moi qui prends le pouvoir de raconter ce que je veux, en mots ou en images. Personne ne le fait à ma place.

Un aspect super important de La Mécanique des désirs est la relation fille-mère, un sujet que tu explorais déjà dans ton roman précédent, Juicy. Tu écris que tu n’es pas devenue escorte pour être en opposition avec ta mère à toi. «Je ne saurai jamais si c’est parce que je tentais de savoir si je pouvais être comprise, alors qu’elle m’assurait que j’étais difficile. Je suis une fille faite de caprices.» Peux-tu parler de cet aspect du livre, du lien qui existe ici avec Juicy?

Dans Juicy, la relation mère-fille n’était pas très développée au départ. Ce sont les éditions de Ta Mère qui m’ont proposé de creuser cette relation. Sous le couvert de la fiction, j’ai sans doute réimaginé ma propre relation avec la mienne. Je ne sais pas ce que j’aurais pu choisir pour être en opposition avec ma mère. J’ai l’impression que peu importe mes décisions, il y a un peu d’elle dans celles-ci. Je pense que si je ne faisais rien et que je tentais de m’enlaidir, ce serait le plus contrariant pour ma mère, qui est incapable de ne pas bouger et de ne pas avoir une journée avec une sortie au musée, un dix kilomètres de course, un rendez-vous chez la coiffeuse et une conversation au téléphone avec sa sœur ou sa meilleure amie. Ma mère est très belle. Je trouve qu’elle ressemble un peu à Susan Sarandon.

Dans ton livre, il y a plein de jupes, de robes et une rare paire de jeans. Tu décris un costume de cheerleader, des robes que tu essaies au Village des Valeurs, plusieurs jupes blanches paysannes, des jupes sans rien dessous, une jupe avec une tache de sperme dessus, une jupe que tu as apportée pour te changer la première fois que tu t’es présentée à l’agence. Les vêtements portent tantôt un parfum de nostalgie, tantôt de liberté, ils semblent par moments intimement liés au travail du sexe, mais pas que. Ton point de vue?

Chaque fois que je signe un contrat d’édition, je m’achète une pièce de vêtement. Ça a commencé avec une nouvelle dans Moebius, grâce à laquelle je m’étais acheté sur eBay un manteau de fourrure, puis une robe de Roberto Cavalli. Étrangement, ou pas, après la signature de mon contrat pour Escorte, je m’étais acheté des vêtements très sages à la boutique Club Monaco. J’avais quand même signé chez mon éditeur de l’époque, avec un stylo qu’une amie venait de se rentrer dans la chatte.

J’ai des souvenirs très liés aux vêtements. Je conserve des vêtements que je ne porte plus, en me disant qu’un jour, j’écrirai sur ces pièces, avant de m’en débarrasser. J’ai une culotte garçonne pêche, que je garde, parce qu’un client m’avait dit que son ex-petite copine en avait une semblable.

Pour moi, le vêtement signifie toujours plus qu’un tissu. Il emprunte en effet une valeur de mémoire ou de nostalgie. J’ai encore les vêtements de Barbie que je rêvais de trouver à ma taille – une jupe vert lime et un blouson de la même couleur, en cuirette.

Le maquillage et les vêtements sont une transition visuelle rapide et facilitée, un point de repère, une déclaration ouverte aux autres. Les vêtements m’offrent aussi la possibilité d’être tout ce que je veux, pour avancer que je suis qui je veux, et pour me protéger. Je n’ai jamais été aussi peu abordée que lorsque j’étais presque nue. Les gens ont peur de ceux qui en montrent trop, ou ils ont peur de moi quand j’en montre trop, comme si ma peau, au lieu de révéler une certaine fragilité, réussissait à montrer ma confiance.

Une des phrases les plus importantes du livre, selon moi, c’est: «Dans l’intimité, je ne fais jamais semblant.» Qu’en penses-tu?

Je ne sais pas où se trouve ce passage, mais c’est vrai qu’il est révélateur de tout ce que ce livre signifie pour moi. Ma démarche de création, comme ma vie, est marquée par cette envie de découvrir comment je peux provoquer l’intime, comment je me trouve dans l’intime, comment sont les autres, également. L’intimité, c’est tracer un cœur sur une fenêtre de voiture embuée, et je ne fais même pas ça, mais je ne fais pas semblant.

Et parlant de phrases importantes, il y a aussi celle-ci: «Je pense que j’oscillerai toujours entre l’esthétique de Paris Hilton et celle de la prochaine femme qui sera tuée.»

C’est ma phrase préférée. Mon éditrice ne l’aimait pas, elle sort peut-être du ton plus posé et délicat du livre, je ne sais pas, mais jamais je n’aurais accepté de la retirer. Cette phrase, c’est moi.


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