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Mon précieux
«Toute nue en train de brailler. Je ne sais pas à quel point on peut s'identifier à ça?»
C’est lorsqu’elle a créé une illustration inspirée par le roman Juicy que nous avons découvert le travail de Marika Porlier. Nous avons d’emblée été séduites par ses oeuvres faites de diamants scintillants, de références aux reines de la culture pop, de messages dynamiques appelant à la décriminalisation du travail du sexe, au respect.
Dans le cadre de notre série de collaborations, rendue possible grâce à votre abonnement et à votre soutien, nous avons demandé à l’artiste basée à Montréal de nous livrer sa vision de l’intimité.
Voici donc son envoûtant Protection Spell. X
Des ongles longs, acérés, manucurés, décorés d’un vernis bronze. Des larmes dorées qui coulent de yeux immenses, recouvrant joues, épaules, cheveux. Devant, de grandes volutes de fumée.
Qu’est-ce que c’est, pour toi, l’intimité?
À cette question qu’on lui a posée, l’artiste Marika Porlier nous a proposé cette illustration. Accompagnée de cette réflexion:
«Je crée souvent de manière viscérale, à l’envers, de façon instinctive. Je ne réfléchis pas tellement au concept. Ce n’est qu’après que j’essaie de trouver des réponses aux questions, au pourquoi de ces symboles. À un moment donné, je sens le déclic à l’intérieur de moi. C’est ça qu’il fallait que je fasse, ça que je voulais faire. J’ai un sens de l’autocritique extrêmement grand. Mais quand c’est bon, je le sais.»
Parmi ces symboles qu’elle devait déchiffrer ici: les mains, la buée. Le liquide doré. «Je n’ai pas encore décidé si c’était du miel ou de l’or. Peut-être que c’est les deux. Je pense que c’est le précieux. La valeur intrinsèque de l’objet. La même valeur que possède l’intimité. On la protège, on la garde, mais on veut aussi la partager avec des personnes choisies. Un peu comme un héritage.»
Une pause. «C’est vraiment différent de ce que j’ai fait par le passé.»
En effet, le noir est profond, le rouge sang, loin loin loin des couleurs bonbons qu’elle avait utilisées pour rendre hommage aux célébrités: Paris Hilton en pastel, Britney Spears en brillants. Disparus aussi les patins à roulettes, les chaussettes à collerette, les cornets de crème glacée.
Absents également les mots, les slogans, les pensées, qui ornaient parfois ses oeuvres autrefois. «Protect sex workers», «Sluts need to be treated right». «Ces illustrations étaient faites pour les réseaux sociaux, précise Marika. Je voulais attirer l’intérêt. Tandis qu’ici, je laisse place à l’interprétation, c’est plus vague, le thème et les intentions.»
Ce qui était clair, par contre: celle qui est au centre de l’image, l’illustratrice originaire de Bonaventure, en Gaspésie, voulait «qu’elle soit belle. Vraiment belle. Dans un esprit de “tout le monde va la trouver belle”. Et tout le monde va avoir envie de la regarder, de la toucher. Donc je lui ai fait des lèvres pulpeuses, des yeux profonds, de grands cils. Des fois, je crée des personnages et je leur invente une histoire. Mais ce dessin, ce n’est pas un humain. C’est un bel objet.»
Ce procédé inhabituel a-t-il généré chez elle des sentiments contradictoires? «J’ai des sentiments complexes par rapport à ça, oui, mais au final, j’aime apprécier la beauté. La beauté peut se trouver n’importe où, et ça dépend des goûts, mais il y a vraiment des gens dans la vie au sujet desquels la plupart du monde peut s’entendre pour dire que ok, ouais, elle, sa face, c’est une belle face.»
Mais comment déterminer ce qui serait «universellement» ravissant? Selon les réactions des gens à ses oeuvres précédentes? Selon sa propre définition? Selon ce qu’elle trouve dans les magazines, IG, tout ça? Comment?
«Sais-tu quoi? Je pense que c’est plus instinctif que ça. Je me dis “j’aime regarder ça, les autres vont l’aimer aussi”. Je n’ai pas des goûts spéciaux. Je ne suis pas spéciale. Quand je dessine, je ne pars pas de rien, je vais chercher des références de visages. Je suis une Pinterest Lady. Elle, j’aime sa bouche, je vais la mettre là. Elle, ses yeux sont pas pires, je vais les mettre là. C’est vraiment ça: un collage de beaux visages, un mix de plein d’Instagram models. Pour que les gens portent attention à ce que je fais, longtemps. Qu’ils ne se disent pas “hum, okay, c’est… inté…ressant?” Mais plutôt: “C’est beau! Qu’est-ce qu’on essaie de me dire avec ces belles choses?”»
Ce qu’elle essaie d’interroger ici, c’est toujours ce thème suggéré de l’intimité. «J’ai appelé l’illustration Protection Spell. Au départ, il y avait deux grosses guêpes menaçantes.»
Les guêpes ont disparu («esthétiquement, je trouvais que c’était bizarre»), mais pas l’idée de «se protéger d’un mal quelconque». De la nécessité de le faire. «Ne pas faire confiance à n’importe qui, être responsable de son bien-être, utiliser sa propre magie - parce que tout le monde en a - pour se garder safe… Ces éléments existent dans ma réflexion sur ce sujet.» Tout comme l’importance de l’esthétique du personnage… «Du bel objet», comme elle dit.
«Bien sûr, en tant que créatrice de costumes et de lingerie avec une démarche super inclusive, je pense que la beauté, ce n’est pas tout, que j’ai tellement plus à offrir que mon apparence physique, que les humains ont tellement plus à offrir que leur apparence physique, et que je n’existe pas pour être cute. Mais je fais aussi des oeuvres dans lesquelles j’utilise l’image de la femme, parfois des célébrités, à mon propre profit. C’est une belle réflexion sur “qu’est-ce qu’on fait avec l’image féminine?”»
Si elle parle de création de lingerie, c’est que dans l’année dernière, Marika a lancé sa propre marque, Drama Club («j’ai étudié en théâtre, je fais des costumes pour le théâtre, j’ai une image un peu dramatique. Je trouvais que c’était drôle - et cute un peu, comme nom»), inspirée par la photographe Julie Artacho qui avait mené sa «Bobette Quest» en partant du principe que «les bobettes, c’est la base».
Dans une excellente vidéo parue en mai 2021 sur YouTube, Julie essayait, en compagnie d’amies, plus d’une vingtaine de paires pour voir si le 3XL de chaque marque choisie en était réellement un, et pas seulement étiqueté ainsi pour mousser des ventes et pousser des produits défectueux (divulgâcheur: c’était souvent le cas).
Marika annonce faire du XS au 5XL sur mesure et propose d’ajuster son patron si d’autres tailles lui sont demandées.
«C’est important pour moi. C’est tellement important pour moi. J’ai cette sensibilité de mon corps. Je ne peux pas exister si je ne suis pas confortable dans mon linge. Et je pense que tout le monde mérite de l’être. Si tu n’es pas confortable dans tes sous-vêtements, tu vas passer une journée de marde.»
Pour revenir à son illustration, notons que dans la même série que celle pour Nouvelles intimes, Marika en a créé une pour les cahiers du PIaMP. «C’est un peu la même ligne directrice. Une nouvelle esthétique. Quelque chose de magique.»
Sa nouvelle esthétique implique aussi un changement de perspective. «Dans mes illustrations érotiques, je n’utilisais pas la nudité comme un élément intime, mais plutôt comme quelque chose de séduisant, de peut-être choquant, pour attirer l’attention, pour essayer de passer des idées. Mais… Je ne suis pas sûre. C’est tellement complexe! Dans celle-ci, spécifiquement, j’ai voulu illustrer la luxure, l’opulence, la force.»
Jumelées à ces larmes qui coulent, à cette apparente tristesse. «Ce n’est pas nécessairement de la tristesse, corrige Marika. C’est de la vulnérabilité. Toute nue en train de brailler. C’est l’image la plus vulnérable pour moi! Je ne sais pas à quel point on peut s’identifier à ça? C’est d’ailleurs pour cette raison que j’aime les choses un peu floues: à chacun de trouver ce qui entraîne ces émotions.»
Ça te plairait qu’on demande aux lecteurs de nous envoyer leur interprétation de ton illustration et de la partager? «Oh! oui, j’aimerais vraiment ça. Ce serait vraiment cool.»
Alors, dites-nous.
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