«On retourne la sexualité des femmes contre elles. Comme une arme.»
Britney, Paris et Juicy dans les yeux de Marika et de Mélodie.
Illustrations par: Marika Porlier @SneezingConfetti
Texte par: Natalia Wysocka
Sur fond bleu ciel, des jambes portant des bas à collerette immaculés et des souliers à talons blancs s’élèvent, pointées dans les airs. «Protect sex workers.»
«C’est un message auquel je pense constamment», dit l’illustratrice Marika Porlier. Aussi connue sous le nom de Sneezing Confetti, un pseudonyme qu’elle utilisait quand elle jouait à des jeux vidéos, celle qui a été technicienne de costumes pour le Cirque du Soleil, l’Opéra de Montréal et de multiples théâtres, pense aussi aux impacts de la censure, donne corps aux signes astrologiques, présente une disquette. Un Walkman jaune. Écrit: «I kept my headphones on while he fucked me.» «Ce sont mes fantasmes personnels. De l’époque où j’enregistrais Bleu Nuit sur une cassette VHS dans le sous-sol de ma mère.»
Sous l’une de ses oeuvres, quelqu’un a commenté: «This one has real erotic power.» C’est ce qu’elle cherche. C’est ce qui déplait à Instagram. «Il m’arrive souvent de me faire shadow-ban. Seulement un pourcentage réduit de mes abonnés voient mes publications en raison des hashtags que j’utilise, des mamelons que j’illustre. L’algorithme n’aime pas les mamelons.»
Marika, elle, aime les couleurs pastel. Les photos tirées de vieux Playboy vintage. Les questionnements sur la célébrité. Récemment, la sortie du film This is Paris l’a remuée. Inspirée, elle a fait un portrait de Paris Hilton. Sous son visage, elle a écrit Consent is Hot.
Le film a surtout éveillé en elle une réflexion sur la façon dont les médias avaient présenté l’histoire de la «sex tape». Celle qui était sortie sans le consentement de l’héritière. Celle que son ex gluant l’avait poussée à faire. La manipulant lorsqu’elle avait refusé d’y participer. «You’re so boring, want me to call someone else?»
«C’est un crime sexuel, remarque Marika. Mais au lieu de le voir comme tel à l’époque, on disait “Paris c’est une salope”, elle utilise sa sexualité pour avoir du succès, elle ne sert à rien.»
Ce type de procès d’intention, la réalisatrice du documentaire, Alexandra Dean, l’avait aussi décortiqué dans Bombshell, The Hedy Lamarr Story. Ce film retrace le captivant parcours de celle du titre, Hedy Lamarr, star hollywoodienne des années 1940. Qualifiée de «plus belle femme du monde», cette actrice d’origine autrichienne a été rabaissée et dépréciée toute sa vie pour avoir simulé le premier orgasme cinématographique, en 1933, dans le long métrage Ekstase. «L’équivalent d’une sex tape à l’époque», remarque à l’écran la journaliste Anne Helen Petersen.
Pourtant, malgré les articles teintés de mépris dont s’est régalée la presse à potins de son vivant, Hedy Lamarr était une inventrice de génie. Si le wifi existe, c’est grâce à elle. Si on a des cells, c’est grâce à elle.
Le documentaire s’ouvre d’ailleurs sur cette citation évocatrice de l’actrice: «Any girl can look glamorous, all she has to do is stand still and look stupid.»
«On retourne la sexualité des femmes contre elles, regrette Marika. Comme une arme. Comme si leur image nous appartenait, comme si elles pouvaient être réduites à leurs relations.»
Elle nomme Taylor Swift. On pense à Tina Turner qui, dans le récent documentaire crève-coeur dédié à sa vie, se bute à des journalistes qui s’acharnent à lui parler de son ex violent encore et encore et encore. «We’re gonna talk about him again?»
Une pluie de diamants
Sur une illustration de Marika, Britney Spears plonge son regard dans le nôtre. Le mot STRONGER scintille en lettres attachées. Sous les brillants, les vagues de cheveux, une grande détermination, une certaine mélancolie.
Aucune mélancolie, cependant, dans l’oeuvre que Sneezing Confetti a créée en hommage à Juicy. Le roman Harlequin de Mélodie Nelson, sur lequel Marika est tombée presque par hasard, quatre ans après sa publication aux Éditions de ta Mère.
L’artiste a craqué pour la liberté qui s’en dégageait, pour la protagoniste, Dulce Cox, une reine de beauté de la Californie devenue star de la pornographie. Une fille qui, entre un rêve de piscine en forme de cupcake et un commentaire sur James Deen qui se conduit comme un con, dit des choses telles:
«Je retire mes sandales, une copie parfaite de celles que Katie Holmes portait quand elle a su que Tom Cruise avait offert un centre commercial à leur fille parce qu’elle avait réussi à épeler son prénom.»
Peut-être normal que Marika se soit reconnue dans les mots de Mélodie. Cette dernière aussi humanise les personnes dont on se moque dans l’oeil public, celles qui sont plus souvent couvertes de mépris que de compassion. «L’image du travail du sexe qu’on nous présente dans les romans et dans les articles est habituellement si négative, dit l’illustratrice. De lire sur ce sujet, qui est quand même lourd, de manière aussi dynamique et rythmée, c’était du bonbon!»
Après avoir refermé Juicy, Marika a dessiné d’un trait. «À l’école, ils appellent ça “an emotional response”. On sort les images qui nous viennent en tête. De façon instinctive.» Celles qui lui sont venues: des diamants. Dulce regardant vers le ciel. Son collier de perles, son chien, sa couronne, ses cappuccinos glacés.
En voyant le résultat final, Mélodie a pleuré. (Elle a une photo pour le prouver.) Que sa protagoniste, sa «petite soeur», celle qui dit que «Pretty Woman est son film antique préféré», celle qui «en ce moment, fait probablement du bénévolat avec Pamela Anderson et se cherche des raisons radicales d’exister» se retrouve dans l’éventail d’oeuvres de Marika, aux côtés de pop-stars comme Paris et Lady Gaga? C’était comme si elle avait atteint le statut d’icône, dit-elle. «J’étais tellement impressionnée et fière! De tout. Du dessin, que le livre continue d’être lu.»
Juicy était d’ailleurs le roman de ce mois au club de lecture de Stella. «Chaque fois que des travailleuses du sexe me lisent et m’apprécient, confie Mélodie, je sens que je suis utile? Valable? Je me sens rarement à ma place, mais avec elles, peu importe leur lieu de travail, leur milieu social, leurs expériences de la violence à l’intérieur ou à l’extérieur de l’industrie, j’ai le sentiment de faire partie de quelque chose qui ressemble à une communauté.»
Avec ses illustrations créées en utilisant le logiciel Procreate («j’ai appris toute seule»), Marika, qui étudie présentement en sexologie, souhaite en créer une aussi. Une communauté.
«Quand j’étais enfant, dans mon super petit village, je prenais mes bandes dessinées et je calquais mes personnages - mais j’enlevais leurs vêtements. Plus vieille, j’ai boudé la pornographie pendant un bout. J’étais souvent blasée par ce qui était disponible en ligne. L’illustration érotique, c’était une réponse à ça. Une alternative.»
Dans son travail, Marika sonde l’opposition entre l’intérêt dont on rêve et celui que l’on reçoit. Parfois inconfortable, oppressant. «Tout le monde dit que je suis la première des influenceuses, lance Paris Hilton dans son film. Mais parfois j’ai l’impression d’avoir créé un monstre.» Marika, elle, confie se tenir loin des projecteurs. «Il y a une raison pour laquelle je travaille à l’arrière-scène au théâtre. J’aime que l’on porte attention à ce que je fais, mais pas à la personne que je suis.»
En 2010, Mélodie faisait paraitre son premier livre, Escorte («Ce n’est pas moi qui avais choisi le titre»). Écrit au je, comme un témoignage, il a été couvert partout. «Dans le Allô Police, dans le Dernière Heure… mais pas dans les articles de critiques littéraires. On m’invitait à des anniversaires d’inconnus. Des journalistes se disaient étonnés que je sois capable de bien m’exprimer. Ils me demandaient ce que je deviendrais, après quelques années, si je serais encore capable d’aimer ou d’exciter. Je leur rétorquais que je continuerais à faire la vaisselle déguisée en femme de chambre. J’avais l’impression de devenir un fantasme.»
Ces femmes que nous décidons de diaboliser
L’an dernier, Paris a publié sur YouTube une vidéo où elle explique comment cuisiner une lasagne (avec des gants sans doigts, son chien Diamond Baby dans les bras et une spatule en guise de cuillère). «So brutal.»
Preuve qu’elle sait manier la viralité en ligne et qu’elle connaît les rouages des réseaux sociaux: des dizaines d’articles et d’analyses dites sérieuses ont suivi. Tout le monde avait son avis, du Washington Post («Paris m’a aidée à étendre du ricotta avec confiance») à Goodfood («La lasagne de Paris goûte le soulier»). «C’est un personnage! s’exclame Marika. Elle a pris ce qui était le plus dangereux pour elle et elle l’a tourné à son avantage.»
Malheureusement, malgré ses qualités, le documentaire dédié au passé marqué d’abus de Paris, à ses relations malsaines et à sa solitude, a omis de mentionner les autres vidéos. Celles où la star use de propos dégradants, d’insultes racistes et d’injures homophobes. Occasion manquée de raconter l’histoire entière. De revenir sur les erreurs, de dresser le portrait complet.
Le portrait est également fragmentaire dans Framing Britney, un autre documentaire qui a inspiré Marika (même s’il verse dans un esprit de conspiration). Les images d’archives présentées l’ont ébranlée. Comme ce reporter poisseux, qui lance à la chanteuse: «Tout le monde en parle. De tes seins.» «Ew», répond-elle. Ou la femme du gouverneur du Maryland, Kendel Ehrlich, qui déclare: «Si seulement je pouvais tirer sur Britney Spears…» «Ew», dit-elle à nouveau.
Puis, tout déboule. La raison invoquée? «Il y avait trop d’argent à faire avec sa souffrance.» Les paparazzis débarquent. Justin Timberlake se vante à la radio que yeahhhh, i fucked her. «Ce n’est pas que Justin qu’il faut critiquer, souligne Mélodie. Oui il y a la misogynie, mais il y a aussi beaucoup de misogynie intériorisée. Ces femmes que nous décidons de diaboliser, de qui nous nous moquons, sont souvent victimes d’autres femmes. Elles jouent avec leur apparence et nous les rendons prisonnières de cette apparence. Je pense à Anna Nicole Smith. À Marilyn Monroe qui écrivait des poèmes. À Kim Kardashian. Quand elle est venue au Musée des Beaux-Arts, il y a eu des cris de révolte biaisée. Comme si une femme au corps autant célébré que jalousé ne pouvait visiter une exposition pour autre chose qu’un selfie.»
En ce sens, Framing Britney pose la question de l’exploitation de l’image. Quand elle illustre des figures connues, Marika se la pose aussi.
Elle explique: une personne qui aime Britney va chercher sur Instagram du fan art qui lui est dédié. Elle risque alors de tomber sur son travail. De s’y intéresser. De la suivre.
«Les magazines à potins et les stations de télé ont toujours utilisé les stars pour faire de l’argent. Maintenant, des personnes comme moi peuvent le faire aussi. L’important, c’est d’en être conscient. Et de le faire avec délicatesse et empathie.»
Délicatesse et empathie. Ces choses qui ont trop souvent manqué… Tellement que depuis la sortie des films susmentionnés, des journalistes à potins comme Perez Hilton cherchent à s’excuser pour leur méchanceté du passé. Au podcast Even the Rich, Elen Lui, de Lainey Gossip, a fait son mea culpa pour s’être ardemment moquée de Britney. «Notre façon de potiner à l’époque reflète qui nous étions collectivement, comme société. Ce n’était pas seulement les médias; c’était nous tous. Bien sûr, il y avait des exceptions: des gens plus intelligents, plus sensibles, plus gentils. Mais la majorité n’était pas du tout dans un état d’esprit bienveillant. Et je m’inclus là-dedans. Je dois l’assumer.»
«Feeling joy for others is the proof of the work you have done on yourself», clame d’ailleurs l’une des oeuvres récentes de Marika. La phrase est tirée du podcast Guys We Fucked, qu’elle adore. (Elle a même fait des broderies en hommage aux chiens des animatrices, Corinne Fisher et Krystyna Hutchinson). «Je ne suis pas toujours d’accord avec leur point de vue, mais j’aime leur mission: fight slut-shaming. Yes, please!» Quand les animatrices ont affirmé en ondes que «ressentir de la joie pour autrui est la preuve du travail effectué sur soi-même», Marika a été touchée. «C’est récent que je réussisse à me réjouir du succès des femmes autour de moi. Pendant longtemps, j’étais amère et triste. Aujourd’hui, oui, je me trouve belle, bon voilà. Mais je suis une personne grosse, et grandir en étant une personne grosse, ce n’est pas facile. D’apprendre à s’aimer a été un travail.»
Son art est un reflet de son cheminement, dit-elle. «Au départ, j’utilisais beaucoup de ressources de photos mainstream représentant des corps minces. De plus en plus, j’illustre des corps gros, moins acceptés socialement. Et j’ai toujours ajouté des poils à mes modèles. Des poils pubiens, des poils de dessous de bras, des poils de jambes….»
Elle ajoute aussi des mots. Comme «Sluts need to be treated right». «Slut, c’est un petit mot doux pour me décrire; pour décrire les personnes comme moi!» Si ça choque? Pas autant qu’une autre de ses oeuvres, qui a été retirée par Instagram et qu’elle a republiée en la cadrant différemment: «Une femme nue, en reverse-cowgirl, qui porte des écouteurs. Elle n’est même pas en train de se faire pénétrer. Mais le pénis est proche du vagin. Selon les règles d’utilisation d’Instagram, c’est “une activité sexuelle".»
C’est contre ces règlements qu’elle s’élève. «Enlever les plateformes aux éducatrices sexuelles ou aux travailleuses du sexe empêche le partage d’information. Ça repousse le travail en ligne à la rue, qui est un environnement beaucoup plus dangereux.»
Elle s'élève aussi contre les jugements. «Je pense qu’une des raisons pour lesquelles nous stigmatisons les travailleuses du sexe, c’est parce que nous sommes tellement inconfortables avec notre propre sexualité, notre propre image.»
Dans Juicy, on trouve d’ailleurs cette remarque: «Je déteste les journalistes qui n’ont jamais flashé leurs tétons et qui se pensent supérieurs à nous.» «Comme le performeur porno et auteur Conner Habib l’a déjà dit, conclut Mélodie, je ne fais confiance à personne qui ne s’est jamais retrouvé nu sur Internet.»
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