Nous avons connu Maxime Holliday l’été dernier, lorsqu’elle nous a envoyé sa lettre ouverte en réponse à la pièce La Paix des femmes.
Nous avons été happées par sa plume exceptionnelle, par son aplomb implacable, par sa sensibilité vive et par sa perspective sur les choses. Nous sommes loin d’être les seules.
Depuis, nous avons gonflé des ballons ensemble et bu des coolers en concluant que daytime drinking is the best kind of drinking et échangé sur plein de choses comme le livre pour enfants Le Grand voyage de Monsieur Caca, notre aversion partagée pour les statistiques non-appuyées qui sortent de nulle part et, tout particulièrement, sur le texte qu’elle a écrit dans le cadre de sa collaboration avec Nouvelles intimes.
Ce texte s’appelle Avec le bain et il est incroyable et nous sommes honorées de le publier et vous pouvez le lire ci-dessous. Il fait partie de notre série de collaborations qui sont rendues possibles grâce à vos abonnements payants et pour lesquels nous vous remercions infiniment.
Chaque collaboration est inspirée par l’intimité. Cela a donné ce récit d’Erika Soucy. Cette illustration de Marika Porlier.
Dans son texte à elle, Maxime se remémore un instant le salon de massage où elle travaillait autrefois. Sa rencontre déterminante avec un client.
C’est après avoir lu la pièce ouvertement abolitionniste de Véronique Côté mentionnée ci-haut que Maxime a eu l’étincelle pour coucher ses souvenirs sur papier.
«La première impulsion que j’ai eue, la première chose que j’ai pensé écrire, c’était des textes de même. Des textes doux, des belles affaires. Des immersions dans la réalité du sex work qui ne sont pas full dramatiques, juste full basic. Comme: t’as fini ta soirée au strip-club, tu te démaquilles, tu vas te coucher avec ton chum, tu mets ton cadran, le lendemain tu vas porter ton enfant à la garderie, whatever. Tu sais, ces affaires qui sont de l’ordre du quotidien et qui dédramatisent tellement, finalement. Il faut du ballant à toute la violence, à tout le négatif.»
À tout le négatif, elle a opposé beaucoup de personnel. «L'intimité, c'est arriver à créer un espace pour pouvoir se déposer ensemble, croit-elle. Un espace où on peut être vulnérable, où on peut être pure. Savoir cultiver l'intimité est un immense privilège et un pouvoir immense.»
Son but avec Avec le bain? «Faire ressentir de la bienveillance et de la compassion. Mais pas de la compassion chiche, ciblée pour certaines personnes, qui ne fait rien avancer, qui est borderline pitié. De la vraie compassion. Autant pour les travailleuses que pour les clients. Je pense qu’il y a tellement de préjugés et de violence envers les travailleuses, mais aussi full envers les clients. Ce n’est pas le sex work qui fait en sorte qu’il y a des hommes machistes dans la société et qui fait ressortir le mal en eux. Ils sont là, donc ils apparaissent aussi dans ces lieux.»
À un moment donné, Mélodie a interrompu la discussion pour crier «IL EST 5h55 TOUT LE MONDE FAITES UN VOEU» et c’était parfait.
Comme ce récit.
Natalia x
Texte par: Maxime Holliday
«Maxime, t’as un rdv dans 15 minutes. Une heure dans la salle blanche avec le bain.»
La première chose qui me vient en tête est évidemment «ark le bain». Parce que dans le salon de massage érotique où je travaille, les normes d’hygiène et de salubrité sont loin d’être suivies à la lettre. Pourtant, la salle blanche c’est la plus classy. Il y a des miroirs sur tous les murs et, dans un coin, un grand bain que les clients peuvent demander moyennant un extra.
Le système de tuyauterie est installé tout croche, ce qui fait que le débit d’eau est dramatiquement faible et que ça prend toujours quelques minutes avant de savoir si la température sera convenable. Je sais que certaines filles font exprès de mettre l’eau trop froide ou trop chaude pour que leurs clients changent d’idée et ne leur demandent pas d’entrer dans le bain avec eux. Moi, je vise une température réconfortante pour tout le monde.
Mon client est arrivé et prend sa douche. Pendant ce temps, dans le corridor, j’ajuste ma petite robe transparente et prends note de l’heure à mon poignet. C’est tout un art que de calculer le timing parfait, qui lui laissera le temps de s’installer et de prendre ses aises dans la pièce, mais qui ne lui laissera pas le temps d’être envahi par le doute ou l’inquiétude d’être seul.
Quand j’ouvre la porte, je sais rarement qui se trouvera derrière, mais je sais toujours m’adapter en l’espace de quelques secondes.
Cet après-midi-là, l’homme derrière la porte, assis nu sur la table de massage avec sa serviette à la taille, m’attend nerveusement et m’accueille avec un petit sourire tellement franc et vulnérable que mon cœur se serre.
Je me présente et le guide vers le bain avec amabilité et bienveillance. Ses yeux sont bleus comme des glaciers et ses mains tremblotent. Ses cheveux légèrement dégarnis m’informent sur son âge. C’est un infirmier. Il travaille dans les hôpitaux, mais s’apprête à partir pour trois mois dans le Grand Nord pour un contrat.
C’est facile de discuter avec lui. Il sait combien les métiers du soin impliquent un don de soi. Je sens toute sa reconnaissance d’être ici avec moi. Il fait l’éloge de ma beauté avec respect et minutie tout en étant d’une sincérité éclatante.
J’apprends doucement à naviguer sa peau. Le dos, les bras, les épaules, le cou, les oreilles. Oups. Pas les oreilles, me demande-t-il. Les pieds, les jambes, le ventre. Je le prends dans mes bras et dans cette accolade chaude et humide, il me semble que nous sommes émus: «Wow. Merci. Ça fait tellement du bien» qu’il me dit les larmes aux yeux.
Je le sais timide. Il me faudra avancer avec précaution sur le chemin de son désir pour ne pas le brusquer.
Je le sors de l’eau et le sèche avec toute mon attention. Je sais qu’il est aux aguets et qu’à la moindre trace d’inconfort sur mon visage ou dans mon corps, il redeviendra inquiet. Je le masse avec mes mains puissantes de toute la compassion qu’il provoque en moi. Quand je le sens assez en confiance, je le retourne sur le dos pour atteindre son sexe mou. Il ferme ses yeux et contrôle sa respiration. Crispé, il bafouille :
«C’est normal c’est pas toi quand je viens ici j’y arrive pas, mais j’suis bien là pense pas que tu fais quelque chose de pas correct l’autre fois que je suis venu ici aussi j’étais de même.»
Mais je sais toujours quoi dire dans ces moments-là. Je suis sûre de moi et j’inspire la confiance. Je le rassure avec quelques paroles apaisantes, m’assure de son consentement et continue de l’explorer. Jusqu’à ce qu’il durcisse. Jusqu’à ce que sa respiration s’accélère et que ses yeux étonnés me regardent. Que les miens lui répondent de tendres encouragements et qu’il jouisse presque silencieusement.
«C’est la première fois que. J’ai jamais. Ça m’est jamais arrivé ici.»
La séance tire à sa fin. On se rince sous la douche et il remet ses vêtements. Je lui souhaite un bon voyage et lui demande de revenir me voir pour me raconter son aventure. Je suis un peu déçue de savoir qu’il ne reviendra pas avant trois mois. Ses yeux émotifs et le généreux pourboire qu’il me laisse me confirment qu’il reviendra sans doute. Je lui donne un dernier baiser sur la joue avant de refermer la porte derrière lui et de commencer le ménage de la salle. Le maudit bain.
Trois mois plus tard, il était là, la tête pleine de son aventure. J’avais oublié son nom, mais pas ses yeux et j’étais absolument ravie que ce soit lui que la porte me révèle à nouveau. Le bain chaud nous attendait pour baigner son récit fascinant de neige infinie et de soleil qui se lève jamais.
Ses mains tremblotantes et ses cheveux épars m'émouvaient toujours autant. Je voulais être vulnérable avec lui. J’ai approché mes seins de sa bouche, mon sexe de ses doigts. Fermé les yeux et me suis détendue. Ses caresses, au départ maladroites, étaient respectueuses et obéissantes. Assez que je sentis bientôt mes joues rougir et lui offris généreusement ma jouissance.
«C’est juste la deuxième fois que. Je jouis jamais avec les clients d’habitude. J’suis bien.»
Aujourd’hui, je ne travaille plus à ce salon de massage. Aucun moyen pour mes anciens clients de me retrouver et pour moi de les retrouver. Je développe une nouvelle base de réguliers dans un autre lieu, mais il m’arrive parfois de repenser à ces hommes. Même si des bouttes de mon cœur finissent souvent par couler avec l’eau du bain, quand j’aime une fois c’est pour toujours.
Aujourd’hui, c’est l’automne gris et j’ai déjà envie de partir le chauffage. Dans mon appartement d’Hochelaga-Maisonneuve, il n’y a qu’une douche en coin avec une porte cassée. Il est 14h30 et je m’ennuie du temps où je prenais des bains dans la salle blanche en après-midi.
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