Une Britney Spears sans tous ses morceaux
Ce n'est pas son divorce qui a précipité sa chute, mais la fabrication de sa pureté par les autres.
Capture d’écran du vidéoclip de Piece of Me
Texte par: Mélodie Nelson
Dans Britney vs Spears, il n’y a rien sur le mariage de 55 heures à Las Vegas de Britney Spears. Il n’y a rien sur la barmaid à qui elle avait dit qu’elle avait de beaux seins et avec qui elle avait changé de vêtements, un soir.
Elle était seule et elle a l’air encore plus seule dans ce documentaire, avec les interventions d’hommes – surtout d’hommes – qui parlent de close friendship comme si je disais que je sais faire des gnocchis qui ne goûtent pas le carton.
Il y a plus d’un manque : pour moi, si Britney est seule, ce n’est pas un acte soudain, c’est une fabrication qui date du Mickey Mouse Club, absent du documentaire. La réalisatrice Erin Lee Carr et la journaliste Jenny Eliscu préfèrent insinuer que le «beginning of the end» était le divorce de Britney Spears et de Kevin Federline.
Le Mickey Mouse Club, c’était presque une machine à formater les filles, à les transformer en performeuses, à les pousser à aller chercher dans leur gorge ce qu’elle pourraient cracher en rimes, plutôt que devant leurs miroirs, leurs familles, leurs pères. Elles étaient isolées pour se créer d’autres ennemis que leurs proches. Devenir leur propre ennemie ou celui de leurs camarades du Mickey Mouse Club, blondes et minces et brisées en rêves.
En juillet 2021, la chercheuse Jenna Drenten, spécialiste de la culture digitale de consommation, intervient dans un article de Refinery29. «Britney Spears and Jessica Simpson and Christina Aguilera and Mandy Moore came out of a Hollywood factory of stardom.» Elle relie le mythe de la pureté et le mouvement de True Love Waits aux destins des chanteuses. «Purity and virginity has always been something that's been intermingled with women in the spotlight, but especially in the '90s because there was such a push to reinforce it as something of a backlash to the '80s when we had Madonna singing Like a Virgin. The idea was 'let's get control of these women again and get them to literally sign pledges for abstinence.' And that affected the pop stars that came to be.»
Ces chanteuses, construites pour le regard des hommes, soumises, dociles, mais perpétuellement désirables. Elles n’étaient pas menaçantes, sauf si elles craquaient sous l’ambition et les obsessions de ceux qui jouaient leurs pères, leurs gérants, leurs amis photographes, leurs amis rapidement disparus. Dès qu’elles n’étaient plus pures, elles perdaient.
«She is intelligent enough to understand what the world wanted of her: that she was created as a virgin to be deflowered before us, for our amusement and titillation.» Vanessa Grigoriadis, The Tragedy of Britney Spears.
Dans Britney vs Spears, il n’y a pas non plus un retour sur ce que l’artiste choisit de montrer maintenant: son corps. Elle en a été privée. Son corps, elle le présentait comme un outil de travail, de critique, de fantasmes et de pureté. Sa sexualité, liée à des promesses faites aux autres.
Diffusé en 2019, le podcast You Remember This? Purity Pledges :True Love Waits, OKAY?, rappelle les questions auxquelles a fait face Britney Spears sur sa sexualité.
Lors de sa tournée de promotion pour le film Crossroads, Oprah Winfrey lui demande si elle regrettait d’avoir parlé de sa virginité.
«I kind of do. I’m gonna try to stick to what I said.»
Oprah maintient qu’elle peut changer d’idée, d’une voix apaisante, comme si elle lui donnait une permission que personne d’autre ne lui offrait.
Diane Sawyer se questionne : «Are you that innocent?»
À propos de la chanson Touch of My Hand, qui ferait référence à la masturbation («From the small of my back and the arch of my feet/Lately I’ve been noticin’ the beautiful me/I’m all in my skin and I’m not gonna wait/I’m into myself in the most precious way.»), Diane Sawyer demande à Britney si c’est vraiment sacré.
«It is sacred to me.»
«Explain it.»
Dans le documentaire sur Britney de Netflix, il n’y a pas les photos de la chanteuse qui magazine chez Kitson Men à 2h du matin, en bas résille déchirés, sans culotte, exposée par de nombreux sites à potins depuis. Il n’y a pas les photos de la chanteuse sortant d’un véhicule avec Paris Hilton, son entrejambe visé par les appareils des paparazzis.
Il n’y a rien sur Justin Timberlake, qui a participé au cirque de la pureté mise en défaut, insinuant une infidélité de la part de la chanteuse, se montrant vulgaire et traître à propos de leurs activités sexuelles.
Elle devait demander la permission pour acheter des livres pour ses enfants, et pour se rendre au service à l’auto d’une chaîne de fastfood.
Maintenant qu’elle semble libérée de son père, certaines personnes voudraient que Britney représente quelque chose que nous créons nous-mêmes. Une close friend, même si nous l’avons abandonnée devant les avocats et son père, ou derrière une porte de toilette d’hôtel, comme la journaliste du documentaire.
Une femme idéalisée, de qui nous espérons que les écrits sur Instagram soient révélateurs d’une attente : que Britney nous appartienne encore. On assiste à la reproduction de ce qui était au départ dénoncé : l’emprisonnement d’une femme dans les désirs d’autrui. Une répétition de la chanson Piece of Me, d’une Miss American Dream critiquée, décortiquée, sous l’emprise des perversions extérieures à son quotidien mais trop présentes.
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