Valérie ne veut pas se perdre
«Mes clients se rasent et se parfument, pour moi. Ils portent de beaux souliers et de belles chemises. Ils me font des cadeaux. Je leur demande s’ils offrent les mêmes attentions à leur épouse.»
Texte par: Mélodie Nelson
Au téléphone, Valérie a une voix douce et affirmée. Elle correspond en tout point à l’image qu’elle montre sur les réseaux sociaux : une jeune femme de vingt-trois ans sensible, qui aime la simplicité et l’élégance, soulignées dans ses tenues, son visage ouvert et ses fleurs préférées.
«Si je devais me perdre pour ce travail, j’arrêterais.»
Elle ne pourrait pas être escorte si elle n’était pas elle-même. «Quand j’ai commencé en agence, on m’a demandé d’être autre chose. J’ai des formes et ça ne correspondait pas aux attentes qu’on avait envers moi. J’arborais aussi une coupe garçonne. Je me suis fait rabaisser à ce propos.» Une fois indépendante, elle a réalisé qu’elle était désirée pour qui elle était vraiment. «Si je devais me perdre pour ce travail, j’arrêterais.»
Depuis six mois, en plus d’être escorte, elle offre ses services de masseuse. Elle remarque que le massage contribue à rassurer ses clients, à les mettre en confiance. Certains des hommes qui se procurent ses services souffrent d’une maladie. L’un d’eux n’avait pas eu de rapport physique avec une femme depuis dix ans, embarrassé par son état de santé.
À d’autres, elle demande pourquoi ils viennent à sa rencontre. «Les gens mariés ont moins d’intimité avec le temps…Mes clients se rasent et se parfument, pour moi. Ils portent de beaux souliers et de belles chemises. Ils me font des cadeaux. Je comprends qu’ils ont besoin de compliments et de rapprochements, mais je leur demande si toutes les attentions qu’ils me donnent généreusement, ils les offrent aussi à leur épouse.» Elle considère qu’elle peut tout de même aider certaines personnes dans leur couple. «Je veux faire du bien. Je ne mets pas d’alarme après une heure. Je suis trop humaine. C’est ma façon de ne pas me perdre», explique-t-elle.
Être escorte pour s’émanciper
Valérie travaille pour «avoir un bel avenir». Elle fait de nombreux investissements, tout en continuant ses études universitaires. «Je ne sais pas c’est quoi, être dans le besoin», dit celle qui mesure sa chance, après s’être éloignée d’un passé contraignant.
«J’ai perdu ma mère très jeune. J’ai grandi avec un père très contrôlant. Être escorte m’a permis de m’émanciper, de me défaire des exigences liées à l’obéissance. J’ai appris à avoir confiance en moi. À foncer. À ne pas regarder en arrière. Je ne me sens plus intimidée.»
Une personne de son entourage a révélé son travail. Plusieurs amis et membres de sa famille ont alors renié Valérie. Pas son père. «La personne la plus importante pour moi m’a acceptée. J’ai eu l’impression de gagner beaucoup son respect, quand il a vu ma façon d’organiser ma vie professionnelle. Il le voit que je suis épanouie. Je lui demande des conseils pour placer mon argent. J’ai un bel appartement. J’économise pour un condo. J’ai de bonnes notes à l’école.»
Tout ce qui importe à son père, c’est de la savoir en sécurité. Sa marraine a tenté de persuader la famille à ne pas couper abruptement les liens. «Avant même que je n’explique quoi que ce soit, elle a précisé à tout le monde que même si personne n’avait à être d’accord avec ma décision, ils devraient me montrer qu’ils tenaient à moi.» Valérie a trouvé que c’était une preuve d’amour et un soutien considérable. «Ma marraine m’a ensuite confié qu’à me voir aller, si elle avait été plus jeune, sans mari, elle y aurait peut-être pensé, à devenir escorte.»
«Si je crois en l’amour, c’est que je viens d’une belle histoire d’amour.»
La femme décidée dévoile sa vulnérabilité, en réalisant que, somme toute, le plus difficile dans l’industrie, ce sont les relations amoureuses. «J’ai eu un copain pendant trois ans. Je lui ai révélé mon travail après deux semaines.» Il n’a pas compris. Elle s’est efforcée de lui montrer qu’elle l’aimait, de multiples façons, pour qu’il la croit enfin. «La majorité des filles que je connais dans l’industrie finissent dans des relations toxiques. Pourtant, nous sommes des personnes authentiques, vraies, qui faisons tellement de bien aux gens. Nous le méritons tout autant.»
Depuis un an, elle fréquente un client. «Il a lu des forums, des articles, des Reddits sur le point de vue des partenaires d’autres escortes.» Il n’a jamais outrepassé son consentement ni essayé de s’imposer.
Sur les réseaux sociaux, Valérie cite un personnage d’Autant en emporte le vent. «I’ve loved you more than I’ve ever loved any woman and I’ve waited for you longer than I’ve waited for any woman.»
Son travail ne l’a pas rendue moins romantique. «Si je crois en l’amour, c’est que je viens d’une belle histoire d’amour. Ma mère a été malade pendant douze ans. Mon père l’a toujours soutenue. Cet été, ça fera dix ans qu’elle est décédée. Mon père n’est allé avec aucune autre femme, après elle. Quand il parle d’elle, je vois de l’amour.» Elle estime que la société consomme trop, même les relations, qu’elle abandonne rapidement pour « plus neuf, plus beau », qu’elle baisse les bras, devant les défis. «Je ne sais pas quand je vais rencontrer le grand amour, mais j’y crois.»
Celle qui emprunte comme escorte le nom de la première blonde de son frère s’accorde pour le moment du temps seule, à cuisiner, à se baigner, à rêver. «Je veux être publiée. Écrire, c’est ce que je fais de mieux dans la vie.»
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