Tout doucement, bonne fête
"Après des années à tomber partout, à croire qu’il me faudrait écrire pour créer, alors que je n’écrivais que sur moi, créant ce qui existait déjà."
Texte par: Mélodie Nelson
Photo par: Myriam Lafrenière
Je n’ai pas tout le temps de penser à toi.
Parfois, je passe deux heures à regarder des robes sur le site de Dolls Kill et à me demander comment elles seraient sur moi.
Je viens de réserver des parties de laser pour le jour de ton anniversaire.
Je pensais que je n’aurais jamais d’enfant. Je pensais que mon corps était incapable de garder quoi que ce soit. J’ai eu ta sœur, après des années à tomber partout, à croire qu’il me faudrait écrire pour créer, alors que je n’écrivais que sur moi, créant ce qui existait déjà. Tu es arrivé comme une surprise dévoilée plus tôt que prévu.
Ça t’a pris plus de trois ans avant de dire autre chose que les refus et les mots d’un dialecte que seulement ta sœur et moi comprenions. Le premier mot que tu as prononcé avait trois syllabes, mais après, il ne me semblait qu’entendre non et des murmures étouffés.
Je me souviens des jeux dans le sable, de l’alphabet que j’écrivais dans la rue, à la craie, et duquel j’oubliais deux lettres, par fatigue. Je me souviens du couple qui m’avait fait pleurer, dès la naissance de ta sœur. Ils marchaient main dans la main à plus de quatre-vingts ans.
Tu perçois toutes mes hésitations. Tu me dis que je suis la meilleure maman du monde avant de t’endormir, mais aussi chaque fois que tu devines que j’ai besoin de toi. Hier, au parc, tu as étudié avec moi les panneaux de signalisation et le marquage au sol. Quand je saurai conduire, je t’amènerai dans toutes les maisons hantées que tu souhaites visiter. Nous goûterons aussi des pâtisseries dont nous ne connaissons pas encore le nom ni l’histoire. Tu auras la permission de chanter. Je te traduirai les paroles et nous rirons.
Tu aimes le lait d’amandes, mais tu ne termines jamais ton verre au complet. Je dis que tu es comme ton grand-père et moi. Nous laissons toujours un peu de café dans nos tasses. Tu aimes jouer au soccer avec une bouteille d’eau en plastique, marcher avec mes souliers, les cornets de crème glacée molle vanille et chocolat. Tu aimes quand nous te parlons doucement. Tu es sensible au manque.
Tu es patient avec les animaux, déçu s’ils ne t’approchent pas, mais tu les comprends.
Tu reviens d’une visite éducative à la centrale de Beauharnois. Je ne t’écris plus. Je vais te faire un grilled-cheese et te montrer ma nouvelle couleur de vernis à ongles. J’aime ça être ta maman, j’aime le rythme qu’être ta maman me donne, et le cœur.
Ce texte fait partie de Nouvelles intimes, un espace de liberté et d'exploration de sujets plus tabous en société. Pour ne manquer aucune édition de cette infolettre signée Mélodie Nelson et Natalia Wysocka, et pour lire nos parutions précédentes, suivez-nous sur Instagram au @nouvellesintimes et abonnez-vous au nouvellesintimes.substack.com. Des commentaires, des questions, une histoire à nous partager? Écrivez-nous au nouvellesintimes@gmail.com.
Merci de ce beau texte
Frissons partout en lisant ce texte. merci.