Texte par: Mélodie Nelson
Il y a douze ans, une femme dirigeant un organisme de sortie de la prostitution, à Québec, insinuait qu’une fois mère, je changerais de positionnement idéologique.
Je me touchais le ventre. Je ne ressentais aucune colère, enceinte. Je savais qu’elle avait tort, cette femme, heureuse de savoir que je portais la vie, pensant que cette vie me convaincrait que ce à quoi je tenais
– mes sœurs, mes droits –
était faux.
Il y a cinq ans, six ans, sept ans, quand j’étais plus présente médiatiquement, il y avait des groupes Facebook de personnes prohibitionnistes qui m’accusaient d’écrire sous l’influence de la drogue, d’être une proxénète, de faire partie d’un lobby d’exploitation complexe, de n’avoir jamais été travailleuse du sexe.
En 2011, l’acteur Ashton Kutcher présentait une campagne avec des personnalités connues, comme Justin Timberlake et Donald Trump, portée par le slogan Real men don’t buy girls.
Demi Moore affirme entre autres dans sa biographie qu’elle s’est sentie forcée par Ashton Kutcher à accepter des relations à trois.
Justin Timberlake a attendu plus de quinze ans pour s’excuser auprès de Janet Jackson pour le scandale engendré par son geste accidentel. Il a alors reconnu avoir bénéficié d’un système tolérant à la fois le racisme et la misogynie.
Donald Trump.
Les belles valeurs.
Avant la pandémie, j’ai rencontré un policier de Longueuil. Il m’a affirmé n’avoir jamais lu d’études critiquant la criminalisation des clients ou l’inefficacité des méthodes utilisées pour lutter contre la violence faite aux travailleuses du sexe.
Ces études existent, mais les travailleuses du sexe existent aussi.
J’ai déjà écrit un article sur une escorte enceinte. Une journaliste chevronnée a proposé que je l’avais inventée.
Les journalistes ne savent même pas que nous existons ailleurs que dans leurs fantasmes
– de sauvetage et de bukkake.
Je n’ai pas changé de positionnement idéologique. De toute façon, ce n’est même pas un positionnement idéologique. C’est une question de dignité, de survie, de combattre non pas un travail, mais des violences qui dépassent le cadre du travail.
Être escorte ou masseuse n’est pas une invitation aux ecchymoses sur le cœur. C’est le rejet de la société qui rend d’abord extrêmement risqué des pratiques que la société ne comprend pas ou se déteste de vouloir employer, elle aussi.
Quand un journal décide de suivre des policiers et révèle qu’une simple conversation sur les services sexuels possibles peut être admise comme preuve contre un client, le journal participe à la mise en danger des escortes. Les clients peuvent aller jusqu’à ne plus communiquer avec les escortes avant un rendez-vous consensuel rémunéré, puis se rendre compte que le service qu’ils souhaitaient n’est pas disponible. Ils peuvent être frustrés, déçus. Les travailleuses du sexe peuvent être obligées de tempérer leur frustration, être frustrées elles aussi, et apeurées.
Dans toute relation sexuelle, la communication et le consentement sont primordiaux. Leur faire obstacle est insensé.
Pénaliser les clients reviendra toujours à pénaliser aussi les travailleuses du sexe.
Douze ans après la campagne perturbante d’Ashton Kutcher, la criminologue québécoise Maria Mourani reprend presque le même slogan, le traduisant par: «Soyez des hommes! Pas des graineux!»
Vulgaire, mais surtout, plus qu'inadéquat. «Soyez des hommes» est un verset biblique, écrit de différentes façons, selon les traductions et les époques: «Veillez, soyez fermes dans la foi, soyez des hommes, soyez forts.» Le verset incite les hommes à l’attaque et à rester purs.
Ce sont aussi les mots utilisés par la Russie pour inviter les hommes à devenir des combattants dans la guerre contre l’Ukraine : «Vous êtes un vrai homme. Soyez-le.»
Natalia et moi, nous refusons que les travailleuses du sexe soient victimes des combats que la société crée contre elles.
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