Se souvenir de Marylène comme serrer fort un squishhhmallow
Il faut se souvenir de Marylène Levesque autrement que par le tragique. Il faut se souvenir de tout, mais il faut dire, aussi, surtout, un an après sa mort, qui elle est.
Photo gracieuseté de Claudia Boivin
Texte par Mélodie Nelson
Dans une vidéo, Marylène parle de Tulum avec son accent du Saguenay. Comme un effet boomerang, elle se tourne vers la copine qui la filme, ses cheveux blonds suivant le mouvement et ses yeux s’écarquillant légèrement, presque d’un étonnement coquin, chorégraphié. Un verre entre les jambes, son téléphone dans la main.
«J’aimerais tellement la revoir faire une de ses jokes trash si mal placées. Ou juste entendre son rire. Voir ses yeux sourire.»
Quand Marylène rit, rien n’est jamais calculé. Les lèvres près d’une bougie étincelle, les ongles corail qui l’aident à mimer quelque chose, le visage lumineux sans faire exprès, le visage qui se laisse tomber et prendre par la douceur d’une peluche qui ressemble à une grosse patate licorne, avec les ailes d’un ange. «Marylène appelle ça un squishhhmalllow.»
Une vidéo de Marylène, les ongles d’orteils au vernis jaune chardonneret, assise dans une chaise rouge. Les cheveux blonds détachés, avec une légère repousse foncée. Ses jambes, qu’elle étire en fredonnant. Elle ne sait pas qu’elle est filmée, près d’une piscine creusée privée, toute détendue. Quand elle comprend qu’elle est filmée, elle dit «OMG» et rit.
«Sa cuisine était toujours parfaite. Il lui arrivait d’amener des plats au salon. Elle nous interpellait en disant "maman vous a amené à manger".»
«I got you and it’s all that matters.»
Au mois de mai, en 2019, c’est ce que Claudia avait indiqué sur Instagram pour résumer une soirée avec Marylène. Les deux, habillées de manière similaire, «sans même s’être consultées!» Un chandail noir, des pantalons à carreaux gris. Un rouge vermeil sur la bouche («de marque KatVonD, ses préférés»), et les cheveux, longs et libres, comme elles. Fières. Et débrouillardes.
Sur les photos, les deux amies font face à la caméra, s’étreignant, complices. Claudia m’a montré comment elles étaient parvenues à se prendre en photo, seules. Elle a gardé tous ces souvenirs, de téléphone disposé sur une grappe de bananes, près d’une bougie parfumée déjà entamée.
photo gracieuseté de Claudia Boivin
Sur les photos, les grimaces pas sérieuses de Marylène. Ou ses moues, espiègles et malicieuses. Aucune image ne semble figée ou statique. Elles sont toutes prises comme dans un moment presque de hasard, au milieu d’un jeu.
Il y a beaucoup de tendresse sur chacune des photos, et des pétillements.
Marylène, amoureuse de celui qu’elle nommait «sa personne».
Claudia appelait Marylène «femme fatale», «ma belle madame», «ma partner in crime», «ma baby girl», «ma belle coccinelle» ou «joli bébé».
Daniel, un autre ami de Marylène, il y a un an, écrivait qu’il se souvenait des tenues de Marylène, quand elle se rendait dans des bars de région, «habillée comme une pitoune du Vieux-Port», pour placoter «avec des Ginette de 57 ans qui fument des Pall Mall kingsize».
Il notait le cœur généreux de Marylène et son envie de découvrir ce qu’elle n’avait pas connu pendant une période de sa vie. «Tu avais le goût de vivre autre chose. Autre chose qui ne se paie pas avec un salaire du Tim Hortons.»
À l’anniversaire de Marylène en 2018, Claudia souhaitait bonne fête à Marylène en énumérant dans une publication des activités auxquelles elles se livraient ensemble. Claudia s’estimait chanceuse d’avoir une amie avec qui boire, danser, se maquiller, juger certaines personnes au Château Frontenac, et chanter en voiture.
Dans une vidéo hommage sur TikTok, une chanson d’Alicia Moffet.
«If heaven's a real place/I hope you're there/And you're better now/And that it's everything you thought it would be/I guess all I want you to know/Is that it's hard but I'm letting you go/It's not fair.»
Marylène, à table «chez sa défunte et adorée mamie, décédée 10 mois avant Marylène», si surprise du jet grandiose d’une bouteille de champagne. Les yeux comme ceux d’une enfant, un moment, avant de tenter de sauver le reste de l’alcool, les mains se refermant sur le goulot. Marylène, se repeignant les cheveux. Marylène, qui danse dans «la cuisine de son appartement gigantesque sur Grande-Allée, à Québec». Marylène, avec un sac Aldo dans une boutique remplie de drapeaux du Canada. Les yeux brillants quand elle salue, en direction de la caméra, «ses deux amies venues la chercher de son transport vers Québec».
Récemment, Claudia écrivait à Marylène qu’elle se souvenait de leurs soirées pyjama avec des films, du popcorn et de l’alcool. De leurs rigolades par rapport à leurs chiens. D’à quel point Marylène cuisinait bien. De leur détresse parfois et de leurs cornets de crème glacée au McDonald’s.
Marylène, avec son chien Enzo dans les bras. Elle l’avait vêtu d’un habit princier, avec un nœud papillon, pour les célébrations du temps des Fêtes.
…
J’avais promis à Claudia que j’écrirais un texte sur Marylène, d’ici samedi.
Je n’ai pas connu Marylène.
«On oubliait nos costumes d’éducation physique à l’école pour jaser», a commenté un ami de Marylène, à la suite d’une publication de Claudia, souhaitant encourager les commémorations.
J’ai passé des jours à penser à cette femme que je n’ai vue qu’en images et souvenirs.
J’ai étiré le temps. Une amie avait besoin d’une recette de vin chaud. Une amie voulait me montrer son ventre dans le miroir.
«La belle fête qu’elle m’avait organisée pour mes 26 ans. Tout était bien pensé. Parfait. Mary savait ce qu’elle voulait et elle avait un grand cœur. Elle avait acheté des ballounes marquées 50. Elle trouvait ça tellement drôle. Elle m’avait obligée à les traîner après au bar», se confie une autre amie, sous la publication de Claudia.
Dimanche, je suis allée chez ma cousine. Elle m’a remis des vêtements, des robes dont elle avait recousu les boutons, en espérant que ses seins y sembleraient moins comprimés. Des jupes à motifs de taches de léopards, parce qu’elle achète toujours de quoi avec des imprimés animaliers, mais elle ne se résout jamais à les porter.
Chez moi, j’ai essayé les vêtements et ils sentaient l’appartement de ma cousine. J’ai pensé que les vêtements de Marylène ne sentaient peut-être plus Marylène.
«La dernière journée que j’ai vu Marylène, elle était full de bonne humeur. Et elle m’a dit "je t’aime" en quittant. Ce n’était pas quelque chose qu’elle avait l’habitude de me dire.»
Elle est encore là, Marylène, sur les photos collées dans les casiers de ses collègues ou encore, sur les mots d’amour des personnes qui l’ont connue et qui les répètent, pour elle, et qui continuent de l’aimer et de s’aimer.
Certains amis ont choisi d’honorer Marylène en portant sur leur peau leur amitié, élisant avec soin des tatouages qui la représentent. «Elle adorait les tatouages. Elle en avait sur les mains, les cuisses, les épaules, les tibias, les hanches et le bas du dos.»
Marylène est encore là, plus forte que tous les fous rires, que ceux qui ne peuvent comprendre, elle est là, grâce aux autres qui racontent «son fort caractère impossible à oublier» et «les 200$ aux machines, à côté d’un retraité nommé Réjean, qui arrête pas de te dire que tu es la fille qu’il n’a jamais eue».
Sur une vidéo, elle se déhanche, à la fois moqueuse et coquine, devant une piscine. Personne ne la voit plonger.
«J’espère que tu enjoy la lumière au boutte du tunnel. Dieu sait que ça fait longtemps que tu essaies de la trouver», écrivait Daniel, il y un an.
Pour Claudia, c’est certain. «On s’est beaucoup consolés avec le témoignage touchant d’une médium située à Toronto. Ce serait la mamie de Mary qui est venue la chercher. Mary viendrait souvent nous voir, en faisant flasher les lumières pour nous faire peur, parce qu’elle trouve ça "hilarant". Ou lorsqu’un oiseau te fixe, c’est elle. Mary aimait tellement les oiseaux. Ça la fascinait. On nous a dit qu’elle faisait le party de l’autre côté, qu’elle a gardé son caractère et son humour tellement unique. Elle l’a même imitée en disant : "Si tu pouvais voir ce que je vois, tu ne me croirais même pas" ou genre "Gurrl, je ne pourrais même pas te l’expliquer en ce moment." C’est ce genre de choses qui nous amènent résilience et paix intérieure.»
Mélodie Nelson remercie les personnes qui ont contribué à cet article. Il lui aurait été impossible de l’écrire sans l’aide et la générosité des proches de Marylène Levesque. Il est important de reconnaitre le labeur de ces personnes, ainsi que l’amour et la tendresse qu’ils manifestent envers Marylène.
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