J’ai écrit pour VICE Québec quelques années, jusqu’à la fermeture de ce média. J’y parlais surtout des enjeux sociaux liés au travail du sexe, comme ici, pour Nouvelles Intimes, mais j’ai aussi parlé de parfums controversés pour les vagins et de l’art de s’autosucer.
C’est cet article, d’abord publié en 2017, que je vous fais découvrir ou redécouvrir. Lors de la publication initiale, veuillez prendre note qu’il n’y avait pas encore d’accusations contre Marilyn Manson ni de procès annoncé pour Ron Jeremy, accusé de trente-quatre agressions sexuelles.
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«J'ai essayé une fois de me sucer. J'étais assez jeune, 14 ou 15 ans. J'étais assis sur le dernier banc d'un autobus voyageur. Il n'y avait pas beaucoup de gens. J'étais pensionnaire dans un collège éloigné et je m'y rendais après un congé chez mes parents. C'était très excitant, même si j'étais un peu nerveux. J'ai réalisé toutefois très rapidement que je ne m'appelais pas Ron Jeremy», me raconte Karl, un ami Facebook.
L'art de sucer sa propre queue n'est en effet pas à la portée de tous. Le docteur et auteur Paul Joannides, dans le livre Guide to Getting It On, précise que ça requiert un long pénis et une colonne vertébrale très souple.
Possible, mais ça prend les bons atouts
Alors que mon ami Karl blâme la longueur de sa queue pour son échec, un lecteur, Vladimir, croit que c'est son manque de flexibilité qui en est la cause. «Un soir où j'étais un brin plus inspiré que les autres soirs, j'ai tenté de me plier en deux et… rien. Pas assez souple. Une légère courbature le lendemain, sans plus. Je dis aujourd'hui que j'ai la souplesse d'un deux par quatre séché au soleil. Quand même moins pire comme expérience que la fois où j'ai essayé de zigner la grille en métal de ma tête de lit. Ce soir-là, j'ai appris que la verge est très fortement irriguée», estime-t-il.
Ron Jeremy, lui, a découvert qu'il était très flexible lors d'un séjour dans un camp de vacances. Il relate, dans Ron Jeremy: The Hardest (Working) Man in Showbiz, qu'un matin, en attachant ses bottes de marche, il a réalisé qu'il était capable d'embrasser son pénis. Inquiet, il a appelé son père, afin de savoir si c'était dangereux pour son dos et si tout le monde arrivait à s'enfoncer le visage dans le creux du pantalon. Son père lui a expliqué que c'était un peu étrange et qu'il ne devrait pas y repenser. «Quand tu auras 18 ans, plein de filles voudront l'embrasser à ta place.»
Plusieurs hommes en font pourtant l'essai. Alfred Kinsey a étudié cette pratique dans Sexual Behavior in the Human Male, un ouvrage majeur sur la sexualité publié en 1948. Il estimait qu'une proportion considérable de la population essayait de se jouir dans la bouche, surtout au début de l'adolescence, mais que seulement deux ou trois hommes sur 1000 étaient capables de réussir une telle prouesse.
Se faire opérer pour connaître le goût de son foutre
Des rumeurs aux sources nébuleuses racontent que le poète italien Gabriele d'Annunzio et le chanteur Marilyn Manson, déçus de leur manque de flexibilité, sont allés jusqu'à se faire retirer des côtes pour s'autosucer avec succès. Le journaliste Daniel Ralston s'est approprié cette histoire afin d'en expliquer la source. Dans un texte publié sur Medium, il fait dire à Marilyn Manson qu'à une époque de sa vie, il couchait avec plein de femmes chaque soir, «un rêve pour le skinny loser de Floride», mais qu'il ressentait tout de même le besoin de mettre son pénis dans sa bouche.
Un acte «indigne, pervers et gai»
Le corps médical a longtemps cru qu'il était immoral et pathologique d'avoir ce désir. Le premier cas étudié et publié, dans la revue American Journal of Psychiatry, date de 1938. Le patient était en effet pervers : l'homme, référé à Kahn et Lion, deux psychiatres de Yale, venait de sortir de 60 jours de prison pour agression sexuelle. Il était pédophile, exhibitionniste et voyeur. Les psychiatres étaient cependant surtout fascinés par ses poils pubiens, qu'ils jugeaient distribués de manière féminine, et son talent impressionnant pour l'autofellation.
En 1971, le psychiatre Frank Orland rapproche l'acte de s'autosucer à une dépendance narcissique infantile. La plupart des rapports psychiatriques insinuent aussi que l'envie de se donner une fellation en cadeau est un signe d'homosexualité latente. Dan Savage, un sexpert américain, réfute cette idée dans son recueil de chroniques Savage Love, notant que de se sucer ne rend personne plus gai que de se branler. Il déplore que la peur d'être homosexuel empêche des hommes d'expérimenter toutes sortes de plaisirs. Jesse Berling, un psychologue et journaliste, est d'accord, déclarant que «parfois les gens sont juste motivés à lécher leurs parties génitales parce que ça fait du bien».
Faire un régime et trouver la bonne position
Dans un article de VICE, Deviant Kade, un acteur porno qui se suce régulièrement devant la caméra, et John, un autre adepte de cette pratique sexuelle, confient quelques conseils pour ceux qui ne débandent pas devant des étiquettes sexuelles restrictives. Les deux hommes, à la queue longue d'environ sept pouces, préconisent des étirements, surtout au niveau de la nuque, et de bien se relaxer, en prenant un bain d'abord, par exemple. Être en érection est essentiel, et trouver une bonne position aussi. Pour Deviant Kade, c'est sur le dos, un oreiller sous la tête, les pieds dans les airs, en amenant doucement sa queue vers sa bouche.
Dan Savage a un autre conseil: trouver un autre pénis pour s'entraîner. «Imaginez la déception de constater après de durs mois de yoga et d'exercices d'étirement que vous êtes capable de vous sucer, mais que vous êtes incroyablement mauvais.»
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