Peinture et photos par: Jep Garcia
Texte par: Mélodie Nelson
La honte est un sujet qui me fascine dans toutes ses manifestations. Je me souviens des enfants qui étaient embarrassés quand leurs parents les embrassaient ou les saluaient, dès l’école primaire. Je n’ai jamais eu honte de mes parents. Je sais que c’est un privilège, pour quiconque a lu les écrits d’Annie Ernaux et d’Édouard Louis. C’est particulièrement ce dernier qui a inspiré à Mélodie Drouin le collectif qu’elle a dirigé, Nos hontes vous reviendront armées.
Ce livre était important pour elle, même si, au départ, elle croyait que la honte ne la concernait pas. «Lorsque j’ai lu Édouard Louis, Annie Ernaux et Didier Eribon, j’ai compris que c’était un enjeu social. La honte a des ramifications incroyables. Elle influence nos craintes et nos décisions, nos relations interpersonnelles, nos petites violences du quotidien», assure l’autrice, pour qui la colère camoufle parfois un sentiment d’humiliation.
«J'ai eu souvent honte de mes vulnérabilités, de mon côté fleur bleue, alors je cherche à réparer les aveux, en étant impudique jusqu'à la provocation. Je cherche à mettre un point final à mes moments de honte en les dominant, en cherchant à m'endurcir. En y pensant bien, c'est sûr que le livre était un moyen pour moi de régler mes comptes avec la honte, et en la comprenant mieux, je réagis encore, mais plus intelligemment, hors de l’auto-sabotage.»
En demandant à Jennifer Bélanger, à Martine Delvaux, à Antoine Desjardins, à Mariève Maréchale, à Emmanuelle Riendeau, ainsi qu’à moi-même d’écrire sur des expériences liées à la honte, Mélodie Drouin a réuni des voix, alors que c’est «un sentiment qu’on associe typiquement au retrait, à la fuite et aux non-dits». Elle est allée jusqu’à créer l’effet inverse : «l'affirmation, l'irrévérence, et une compréhension plus englobante, donc plus libératrice».
Il m’est revenu en mémoire une question que j’avais lancée, il y a trois ans, sur les réseaux sociaux, avec l’idée d’un possible réconfort cathartique, grâce aux partages personnels sur cette émotion.
«De quoi avez-vous le plus honte?»
Cette question a provoqué plus d’une centaine de réponses. Un miroir pour plusieurs. Une envie de quitter ces habits d’embarras pour d’autres.
«Je ne sais pas siffler avec les doigts.»
«De ne pas avoir trouvé le courage de devenir stripper comme ma soeur aînée et de pouvoir ainsi me payer des études. Ça m'aurait aussi sortie de la pauvreté. Emprunter de l'argent à ma mère pour manger ou aller chez le dentiste, à 26 ans, ça aussi, ça me faisait honte.»
«Mon manque d'éducation, même si j'ai compris avec le temps que l'intelligence a plusieurs formes et qu’elle se cultive de plusieurs façons.»
«J’ai encore honte d’avoir fait une tentative de suicide et d’avoir fait, par conséquent, très mal aux gens qui m’aiment.»
«J'ai honte de ne pas aimer ma mère.»
«De devoir demander de l'aide pour me masturber.»
«J'ai honte d’avoir été, dans les années formatives de ma vie, homophobe, transphobe, raciste, xénophobe, séparatiste identitaire, aveugle à mes privilèges et d'avoir eu une tendance exagérée à l'auto-victimisation. Par héritage et par ignorance. Par peur de la différence. Ce n’est pas une excuse.
Conséquemment, ma plus grande fierté est de travailler un peu plus tous les jours pour devenir de moins en moins tout ça et d'y arriver pas pire. Je suis toujours séparatiste, mais je ne le suis plus pour des raisons identitaires. Quand je disais "le Québec aux Québécois", à l'époque, je voulais dire "aux blancs francophones".»
«Du pire.»
«D'être devenu aussi gros et de l'accepter en partie.»
«De mon corps.»
«Le fait d’être totalement broke.»
«D’avoir fait des autopsies sur des grenouilles vivantes dans mon enfance.»
«De ma gentillesse.»
«À 38 ans, je n'ai ni maison si économie. J’ai du mal à joindre les deux bouts. Mes enfants n'ont pas d’activités à l’extérieur de l’école. Je n'ai jamais pris l'avion et je suis très inquiète pour mon avenir. J'ai suivi de très mauvais conseils quand j'étais plus jeune, comme de choisir un métier par passion et de ne pas m'inquiéter. Ou d'accepter n'importe quel homme tel qu'il était, car l'amour est censé être suffisant pour pardonner n'importe quel comportement déviant.»
«D’être incapable d’exprimer mes inconforts et de devoir endurer ce qu’il en résulte.»
«J’ai honte de mon divorce et d’être celle dont l’ex sort avec sa bully d’enfance.»
«J’ai honte de ne pas savoir ce qu’est une famille. Je suis partie de chez moi dès que j’ai pu. Chez nous, si on pleurait, on recevait une claque.»
«Ma honte cachée a été d’avoir ressenti physiquement du plaisir, lors d’une agression sexuelle, enfant. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Ça m'a pris du temps pour faire la différence entre stimulation physique et abandon au plaisir. Je l'ai portée longtemps cette honte, comme une lettre écarlate sur mon cœur. Maintenant, je perçois cette honte comme une cicatrice qui ne fait plus mal et que j’oublie, la majorité du temps. Je suis fière de moi, belle et vivante. C’est sans doute ma plus belle réussite: d’avoir transformé une honte en joie de vivre.»
«Des conséquences que mes problèmes de santé mentale ont sur mon entourage. Surtout d'en être consciente, puis de ne pas arriver à toujours avoir le contrôle dessus.»
«De me trouver nulle, chaque jour. J'ai honte de ne pas être capable de reconnaître mes talents, mes accomplissements, mes réussites. Ce n’est jamais assez et c'est toujours de la marde. J'en suis épuisée.»
«Ma consommation. Malgré que j’aie cessé depuis dix mois, c'est ma plus grande honte et mon plus grand regret. Quand j'en parle, je vois que les gens me perçoivent différemment. C'est rough. »
«De ne pas m’être aperçue du mal de vivre de mon adolescente, de son automutilation qui l’a conduite à une tentative de suicide.»
«De vouloir être aimée, de décevoir les gens que j’estime.»
«Toutes les décisions que j’ai prises pour ne pas déplaire à mes chums.»
«J’ai honte de me sentir si peu femme par la faute de mes blocages sexuels . Je suis anorgasmique.»
«De ne pas trop savoir encore ce que je veux. D’être si découragée de l’humain parfois que j’aurais envie que tout s’arrête, que tout explose, que toutes les souffrances s’arrêtent d’un coup parce qu’on ne sait juste pas vivre. J’ai honte de ne pas avoir plus de confiance ou d’espoir en l’humain. En même temps, l’histoire me donne raison. J’aimerais qu’on renverse tout. J’ai honte de ne pas en avoir la force et d’ignorer comment le faire.»
«J’ai honte de ne pas comprendre mon fils, de parfois réagir inadéquatement face à ses colères. Je suis triste de pas arriver à l’apaiser comme un autre enfant.»
«De mes dettes, de mon hyperphagie, de quelque chose que je ne sais pas nommer en lien avec ma famille, de ne pas avoir les dents blanches, de mon corps, de ma fragilité psychologique, d’être dans l’inaction. J’ai parfois honte de ressentir de la jalousie, aussi.»
«J'ai très honte de m'être laissée faire certaines choses, de ne pas être partie, de ne pas avoir répondu. De ma passivité. De ma famille parfois, et ensuite : la honte d'avoir honte. Honte aussi, parfois, malgré les années et les efforts, de me trouver laide et grosse et pas suffisante. De ne pas m'assumer. C'est dur, la honte ! Pire affaire.»
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WoW super merci pour cette belle lecture et j’ai pas honte de te lire xx