Pour la défense des jeunes trans et queer
Les mobilisations parentales coïncident avec la montée de plateformes et de stratégies politiques anti-2SLGBTQ+.
Texte par Mélodie Nelson
Samedi le 21 octobre, je me suis rendue à une contre-manifestation montréalaise, à la défense des jeunes trans et queer, devant l’édifice du Ministère de l’Éducation. Elle était organisée en partie par le P!nk bloc MTL, un collectif queer radical et anticapitaliste, Première Ligne, un collectif communiste anarchiste, et Celeste Trianon, une activiste-juriste transféministe.
J’avais la trame sonore du film Barbie dans les oreilles.
Un mois auparavant, le 20 septembre, des rassemblements ont eu lieu dans des villes importantes du Canada, répondant à l’appel de 1 Million March 4 Children. Des rassemblements dits contre l’enseignement de la notion d’identité de genre dans les écoles, mais qui montrent, sous cette idée faussée d’une éducation dangereuse, une peur et une haine des autres.
La sauvegarde de l’innocence par la haine
En juin, Mahmoud Mourra a été mis en examen par la police de Calgary pour harcèlement criminel motivé par la haine à l’encontre de la communauté 2SLGBTQ+. En septembre, il était l’un des organisateurs d’une manifestation tenue dans sa ville.
Devant une foule composée d’adultes et d’enfants, Mourra a protesté contre les personnes qui, selon lui, «veulent que mon fils ou ma fille puisse utiliser de nouveaux termes et être un ça, un chat ou un chien». Il a passé le micro à un enfant, révélé dans une vidéo de l’événement brandissant un drapeau du Canada sur lequel il était écrit «Kick the gays out of our country».
Le garçon a déclaré que «les gays sont des psychopathes». Puis, plus fort, sous les applaudissements, le jeune a ajouté : «Les gays, ils sont dégoûtants!» Mourra a repris le micro et a objecté qu’il fallait respecter les homosexuels, mais «ils ne doivent pas s’impliquer dans nos vies personnelles et dans la vie de nos enfants».
1 Million March 4 Children se présente sur son site web comme «des gens d’origines et de foi diverses [qui] s’unissent pour un but résolu: préconiser l’élimination de L’Orientation Sexuelle et l’Identité de Genre ainsi que les pronoms associés et l’idéologie des genres et [les] toilettes mixtes dans les écoles». Leurs actions seraient guidées par «la sauvegarde du bien-être et de l’innocence de nos enfants».
Une question de survie et non de mode
Toutefois, il a été prouvé à maintes reprises, non pas dans des chroniques ou des blogues de désinformation, mais dans la littérature scientifique, que l’inclusion de contenu 2SLGBTQIA+ dans les programmes scolaires permet justement d’aider les enfants. Tous les enfants.
Ceux qui ne se définissent pas comme trans gagnent à mieux comprendre la diversité, à devenir des alliés, à développer leur empathie. Proposer des cours d’éducation sexuelle qui dépassent l’étude de modèles uniquement hétérosexuels n’est pas de l’endoctrinement, ni une question de mode ou de performance.
Alors que la société débat de changements de pratiques et de curriculum scolaires, les jeunes trans se font des amis, perdent des amis, tombent en amour, s’appliquent de la crème contre l’acné, réussissent à terminer leurs devoirs, oublient leurs devoirs, perdent leur agenda, dessinent des cœurs dans leurs cahiers de notes de cours, défient des normes et des contraintes étouffantes.
Bref, leur quotidien se passe beaucoup à l’école.
Si le milieu scolaire ne les écoute pas activement et ne s’implique pas pour les supporter émotionnellement et aussi pédagogiquement, les conséquences négatives seront un sacrifice de leur bien-être au nom des intérêts conservateurs de parents et de politiciens.
Fréquenter l’école serait alors «l’aspect le plus traumatisant de leur évolution», selon les conclusions de l’étude School Climate for Transgender Youth: A Mixed Method Investigation of Student Experiences and School Responses.
Lorsque le climat scolaire laisse place à peu d’inclusion et ne sévit pas contre la discrimination, les jeunes 2SLGBTQ+ en souffrent académiquement, physiquement et mentalement. Les idées suicidaires, l’automutilation et la dépression sont plus fréquentes. Pas parce que les personnes concernées font partie de groupes marginalisés, mais parce qu’elles ne reçoivent pas un soutien adéquat. Le risque d’un échec scolaire est aussi décuplé, causé par l’absentéisme provoqué par l’impression de ne pas être en sécurité en classe, dans le vestiaire ou aux toilettes.
Les groupes de droit parentaux : historiquement liés à l’homophobie
Au Canada, les groupes de droits parentaux, comme ceux de la 1 Million March 4 Children, ne reconnaissent pas l’importance de pratiques scolaires inclusives et les droits des enfants trans. Ils se mobilisent et appuient les lois adoptées en Saskatchewan et au Nouveau-Brunswick, qui obligent les membres de l’équipe-école à aviser les parents si un enfant demande à être interpellé sous un autre pronom ou prénom.
Ces groupes de droits parentaux sont historiquement liés à un discours discriminatoire. Ils ont notamment déjà pris la parole contre les lois accordant la protection des droits civils des gays et des lesbiennes, contre l’accès à l’avortement, et pour la ségrégation raciale dans les écoles.
Dans les années 1970, Anita Bryant, une artiste américaine et militante conservatrice, a indiqué, lors d’un rassemblement, que «les homosexuels ne peuvent pas se reproduire, alors ils doivent recruter. Et pour rafraîchir leurs rangs, ils doivent recruter dans les jeunes de l’Amérique.»
En 1978, Save Our Children, une coalition homophobe créée par Bryant, est impliquée dans l’Initiative Briggs, qui souhaitait faire interdire à toute personne LGBTQ+ d’enseigner dans les écoles de Californie. Cette proposition a été notamment combattue par Harvey Milk, alors conseiller municipal de la ville de San Francisco.
Au Canada, présentement, ces mobilisations parentales coïncident avec la montée de plateformes et de stratégies politiques anti-2SLGBTQ+, selon des recherches effectuées par le Canadian Anti-Hate Network.
Un rassemblement triomphant pour la jeunesse trans
Les contre-manifestations, comme celles du 21 octobre, tentent de lutter contre cette notion que «protéger les enfants» reviendrait à les éloigner de toute diversité.
Alors qu’à Montréal, le 20 septembre dernier, un nombre élevé de réfractaires à l’enseignement de l’identité de genre avaient été comptés, le 21 octobre a plutôt donné lieu à une journée de soutien, d’accueil et de retrouvailles. Malgré la pluie, sous la thématique «Laissez les enfants s’épanouir!», près d’un millier de personnes étaient présentes pour la jeunesse trans, selon Celeste Trianon, alors qu’il n’y en aurait eu que cent du côté des partisans de la 1 Million March 4 Children.
Je n’en ai vu aucun et je suis partie après trois heures de présence.
J’ai vu toutefois des ongles orange et noir en l’honneur de l’Halloween tenir des banderoles colorées, des personnes qui se reconnaissent malgré les masques, qui s’embrassent, qui se racontent que la boutique Target leur manque, qui tiennent vaillamment des pancartes, protégées de la pluie par des sacs bleus de récupération.
Alors qu’une personne demandait à une autre ce qu’il y avait à manger, à part les bonbons offerts par une manifestante, elle a reçu comme réponse une boutade : «Fais tes recherches!» Parce que c’est un peu ça, la base, pour un enjeu qui connaît des retentissements mondiaux. Les recherches, dont les résultats sont publiés dans des revues scientifiques. Et l’écoute des communautés concernées.
Elles ont besoin de soutien, de politiques scolaires et sociales inclusives, mais au-delà de ça, qu’est-ce qui fera taire la haine? J’ai l’air de conclure ça comme si je faisais une composition écrite en secondaire deux, mais c’est bouleversant, cette lutte pour vivre et survivre dans une situation de rejet et de négation de ses droits.
(Pour la nourriture, des collectifs comme Food Against Fascism, Nilufar et The People’s Potato distribuaient généreusement des breuvages, des barres granola et des plats plus consistants. J’ai fait mes recherches.)
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