Nous sommes épuisées mais nous ne sommes pas seules
Moi je parle des nuances, pendant que des experts sortent des chiffres et des statistiques comme moi des chapelets de gouttes de sperme de mon sexe.
Par Mélodie Nelson
Une fille va chercher son diplôme d’études dans ses stripper shoes et sa perruque fuschia pluie d’étoiles filantes.
« Des personnes disent juste rose rouge et bleu maman. »
Moi je parle des nuances. Je parle de corail je parle de fuschia pluie d’étoiles filantes je parle des glitters sur les tenues des filles qui se changent entre une barre de chocolat Aero à la menthe et un condom au pina colada.
Une fille a un copain en prison parce qu’il a volé dans un dépanneur. Son nom de travail rappelle le printemps.
Une fille a une grosse bouche mais elle n’aime pas sucer. Elle commande toujours de la pizza toute garnie mais elle en retire le pepperoni et le garde pour plus tard, quand elle pourra le donner à son chien, après les clients après minuit.
Une fille se fait dire par le nouveau mari de sa mère qu’elle doit partir de la maison quand elle aura dix-huit ans. Elle part une journée après cette conversation. Elle donne l’argent de ses clients à un proxénète. Ses clients, qui la bercent presque après les abandons de l’enfance. Elle n’aime pas se faire reconstruire par des hommes. Elle a un psychologue et un masseur et un ex et un fiancé et un fils, maintenant.
Nous voudrions toutes nous suffire, peut-être que nous voudrions toutes nous suffire. J’aurais voulu me découvrir toute seule. J’aurais voulu ne pas avoir besoin du sexe des hommes des doigts des hommes de l’argent des hommes de leurs soupirs entre mes cuisses ou contre mon cou. J’aurais voulu pouvoir lire Régine Deforges et dire voilà. J’aurais voulu faire quelques heures de bénévolat cueillir des fraises chanter Madonna dans un party pendant que tout le monde se frenchait – seule, j’étais seule à chanter Madonna et à danser comme si j’entrais en convulsions – essayer les souliers de ma mère et être moi.
Ma cousine conserve des vernis à ongles dans son réfrigérateur et ils sont tous rouges.
Mon fils mange du spaghetti avec ses doigts.
Une fille demande comment s’inscrire sur un site de sugar baby et une amie lui fait un sundae avec un coulis aux fraises et des arachides écrasées au mortier.
Une fille pose avec des mitaines Hello Kitty et une culotte en dentelle.
Une fille danse jusqu’à s’évanouir dans les toilettes. Elle a un diplôme en biologie marine. Elle passe des après-midis à sentir les parfums chez Ogilvy. Dans son lit, elle me dit qu’elle veut se trouver un mari riche.
Une fille est sobre depuis un accident de bicyclette.
Une fille me parle du chiot qu’elle aura bientôt. Elle prévoit lui faire porter des bérets et je l’imagine aussi avec un nœud papillon.
Une fille ne sait pas si elle pourrait continuer à suivre ses cours en soins infirmiers, si ça se savait que la fin de semaine, elle est dans une auto avec un chauffeur et des condoms et du lubrifiant offert par la Santé publique.
Une fille aime s’assoir sur des beignes. Une fille aime les écraser. Elle a des cheveux longs, blonds, et des lunettes.
Une fille travaille parfois avec sa sœur et elle reçoit souvent des bouquets de fleurs d’un promoteur immobilier très connu.
Nous sommes beaucoup nous sommes des sœurs de boudoir et vos sœurs aussi, parfois, et pourtant, pourtant ce ne sont pas ces filles que nous écoutons. Ce sont les personnes qui se disent des experts, des experts en déviance des experts en écoute de films pornos sur leurs heures de travail des experts qui se crossent en pensant à moi et aux autres filles mais qui ne le diront pas des experts qui sont blessés, réellement blessés, mais qui, au lieu d’offrir leurs blessures, offrent leur rejet et leur haine, des experts qui sortent des chiffres et des statistiques comme des magiciens des lapins de leur chapeau, comme moi des chapelets de gouttes de sperme de mon sexe.
Nous sommes épuisées mais nous ne sommes pas seules.
Une fille se fait un masque devant Occupation Double. Il y a genre mille filles qui font pareil mais elles ne sont pas cette fille, qui, le lendemain, obligera un client à sucer son talon de trois pouces, mais qui ne pourra pas le dire à sa meilleure amie.
Une fille se souvient de sa liste d’épicerie quand elle a les couilles d’un inconnu sous sa langue.
Quand des personnes parlent à la place des autres filles, elles remplacent le rasoir que nous passons sur notre chatte ou contre notre poignet ou contre notre ventre ou contre n’importe quelle partie d’un corps que nous célébrons et délestons, sans couronne ou stérilet, notre corps, il reste notre corps, qu’il soit pris, écrit, muse ou fantasme, nous sommes encore vivantes et nous pouvons cracher ou écrire, nous aussi, vos balbutiements, toutes les fois où vous nous avez offert en cadeau, un ruban sur notre cul, ou que vous avez prétendu nous connaitre.
Nous ne sommes pas quelqu’un que vous connaissez – nous sommes les filles qui sommes capables d’être comme tout le monde mais aussi plus que ça, nous sommes capables d’être qui nous voulons, et même si ça ne dure qu’une heure, parfois, c’est plus que le temps que vous passez à espérer que nous n’existions pas.
Ce texte fait partie de Nouvelles intimes, un espace de liberté et d'exploration de sujets plus tabous en société. Pour ne manquer aucune édition de cette infolettre signée Mélodie Nelson et Natalia Wysocka, et pour lire nos parutions précédentes, abonnez-vous sur nouvellesintimes.substack.com