Nicole Kidman sauvée par la Bible
Babygirl donne plus des envies de meurtres que de se faire rentrer des doigts dans la bouche.
Texte par: Mélodie Nelson
Sur la rue Duluth, mon amie Marilu parle très fort de lash lifts, de sa peur du sang et de réactions possibles à une anesthésie. Il est plus de vingt-et-une heures. Natalia est déjà au Cinéma du Parc. Jade a préféré se coucher tôt. Stéphanie arrive pratiquement en même temps que Marilu et moi.
Nous allons voir Babygirl. Je n’ai rien lu sur le film, simplement admiré les photos de Nicole Kidman (Romy dans le film de Halina Reijn) qui en fait la promotion dans des magazine de mode.
J’ai envoyé une photo d’elle à François, pour qui j’adore poser. Sur le portrait en noir et blanc, Nicole est couchée dans une voiture, avec ses jambes de deux mètres, sans rien pour les cacher, puissante, excitante, élégante, sans être vulgaire (c’est une référence entre mes enfants et moi, qui se moquent d’une influenceuse française classiste et raciste – elle classe tout en deux catégories, soit que c’est vulgaire, soit que c’est élégant, et les petits pulls marines sont toujours élégants et ce qui brille et me rend joyeuse, non).
Ne pas confondre l’ambition et la morale
Je pense aller voir un porno, mais ça ne me dérange pas, quelle chouette idée d’aller voir un porno avec des amies et de manger du popcorn en même temps.
Pendant le film, les filles derrière nous parlent de rebound et l’une d’elles me donne des coups sans faire exprès. J’ai pensé me retourner et lui dire si tu n’as pas de bonbons à la fraise à me donner, arrête de me frapper (ça c’est une référence au thriller érotique – Samuel, le partenaire de jeux kinky de Romy, lui fait laper du lait, mais lui donne aussi à sucer un bonbon à la fraise comme toutes les grands-mères avaient dans les années 1990).
Si le film souhaite changer la représentation du plaisir à l’écran, il paraît sensé de répéter une phrase de Babybirl, comme quoi il ne faut pas confondre l’ambition et la morale. Le plaisir ici a une touche de moralité. Le safe word de Romy? Jacob, le nom de son mari. Ce dernier, dévasté par les mensonges, trouve le courage de pardonner, grâce à sa lecture de la Bible, à une diète intermittente et à sa fille à la coiffure wild (il faut bien donner au film des allures faussement révolutionnaires, pour oublier les espaces manutentionnaires qui contribuent à classer les produits de consommation et à imaginer les personnages bien casés aussi - et qui d’autre qu’une jeune personne queer pour recevoir cette mission?) qui ira chercher sa mère pour le ressusciter. Jacob est incapable de dire à Romy qu’elle lui manque, comme elle souffre de ne pouvoir lui communiquer aisément ses désirs, qu’elle croit pervers.
Le droit à la jouissance pour la good girl
Et qui a droit à la jouissance, selon le film? Il y a évidemment Jacob, puis finalement Romy, une Jeffrey Bezos au féminin, qui emprunte au quotidien un jargon malheureusement habituel dans les sphères technologiques et industrielles, soit celui de la performance robotique et de la bienveillance comme un bouillon de poulet pour l’âme. La good girl, mince, blanche et bourgeoise, avec la maison de campagne et les grandes fenêtres sur la catastrophe en ville.
Romy est plus âgée que son amant, plus âgée que plusieurs héroïnes de films sentimentaux. C’est l’élément le plus innovateur du thriller romantique et domestique, plus que les conversations sur la définition du consentement et le semblant d’effondrement de la masculinité, portée entre autres par Samuel, qui ne croit pas aux horoscopes, mais qui croit à la confusion des rôles et des sentiments.
Romy aime être dominée, jouer, écrire des petits mots doux à ses enfants, qu’elle glisse respectivement dans un sac d’école rose et dans un sac avec un écusson de soccer. Si elle réussit à dire fuck off à un collègue, à ne pas perdre son manteau d’hiver dans un rave, à garder mari, cigarettes, piscine chauffée et à jouir, elle ne parvient pas à nous communiquer admiration et émotion : Romy évoque dans ce film plus un conservatisme assumé, un écran de téléphone comme protection à la tendresse, une solidarité faussée. Si les hommes peuvent s’aider, même en position ennemie, Romy n’aide réellement personne, rejetant les tenues de ses filles pour la photo de famille traditionnelle et vantant artificiellement les mérites d’une collègue. Babygirl, une chorégraphie de désirs considérés honteux, alors que c’est tout le reste qui l’est.
Stéphanie s’est presque endormie. Marilu m’a montré comment tracer des lapins dans la neige. Natalia a admis que les manteaux de Nicole Kidman étaient beaux. Je me suis fait un sandwich aux tomates en revenant chez moi, passé minuit.
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