Les jupons qui dépassent comme le mépris
Une semaine où tout se résume ou presque à la mort et à OnlyFans.
Par Mélodie Nelson
Sur un mur, près d’une école primaire, c’est écrit fuck all men. Dessous, c’est écrit bisous.
À la prison Leclerc, il y a des fouilles abusives, des conditions insalubres et de la maltraitance.
Ma fille pleure le soir parce que le chat de ma cousine va bientôt mourir. Je suis aimante et froide, avec les autres et avec ma fille, aussi, parfois, à contrecœur et contre moi, sans que je le comprenne. Je parviens à lui dire que ce chat pourrit de l’intérieur depuis deux ans. Il pue et coule de partout, mais elle l’aime tellement. Il a besoin d’elle. Quand elle le visite, il reste auprès d’elle. Il demande ses caresses. Je pense que c’est surtout ça. Je pense que c’est toujours ça.
Mon amie Martine n’aime pas les rongeurs. Une de ses amies, petite, avait un rat. L’école, les fugues, le nouveau rouge à lèvres, les magazines à lire dans l’entrée en asphalte d’une autre copine. Des années plus tard, en salle d’autopsie, mon amie Martine a revu le corps de son amie, morte.
Une maman, au parc, se souvient de s’être lancée sur le cercueil de sa mère, dans un trou au sol, lors du premier lancer de terre.
Tout le monde a une histoire. Je ne parle même pas de libraires qui, deux jours par semaine, dans une bouquinerie, tarifient leurs étreintes sur des draps qu’elles lavent et plient, trois autres jours, quand elles ne conseillent pas des bandes dessinées ou un crayon à encre indélébile.
Dans le livre Un peu, beaucoup, à la folie, l’autrice Liane Moriarty présente des personnages qui ne dorment plus avec leurs partenaires, des époux gênés de leurs épouses qui s’emparent de coupes pour sauver des gouttes de champagne en feux d’artifice, des épouses qui se crispent après une blague de leurs époux, des mères qui accumulent les colliers de perles et les poêles et les odeurs rances, pour s’isoler du reste du monde, et celles qui hésitent entre un chien et un enfant.
«On oublie toujours que ça se fait, de passer l’aspirateur. Mais on se sent toujours mieux après et on se dit : on devrait passer l’aspirateur plus souvent! C’est un peu comme quand on se souvient de faire l’amour.»
Mon amie Natalia m’offre un coffret de maquillage dont les couleurs sont chacune liées à un signe du zodiaque. Sous le soleil, la revoir, en m’imaginant que ce serait possible tous les jours, sans la pandémie et sans rien d’autre à faire que de marcher jusqu’à chez elle, en prenant en photo tout ce qu’il y a de chez moi à chez elle, les galeries d’art, les restaurants de pizza avec des pointes grosses comme dans Sexe à New York, les chaises hautes sur le bord du trottoir, les romans Harlequin dans les boîtes aux livres, les noms de parcs, s’ils sont d’inspiration polonaise.
Mes parents lisent encore tous les soirs, l’un à côté de l’autre, une lampe de lecture accrochée sur chaque bord du lit. Je ne sais jamais distinguer leurs lectures, quand les deux choisissent des romans policiers.
Je donne à ma fille une robe que je portais à vingt ans. Elle croit qu’à cet âge, j’ai été passée à la sécheuse, puisque cette robe, noire à motifs de petits cœurs, lui va déjà.
Dans une émission d’information à Noovo, je m’enfarge dans les mots au revoir, merci, bye ou au plaisir. Je ris comme si c’était une bêtise d’enfant.
Dans Châtelaine, dans un article qui vante la pornographie féministe, une actrice et réalisatrice est célébrée, alors qu’elle a été accusée d’outrepasser le consentement d’une autre performeuse. Ce n’est pas souligné.
Je souligne : les personnes se purifient à coups de chandails avec des inscriptions à référents de girl power, mais quand des entrepreneures comme Kim Kardashian visitent un musée à Montréal, les chroniqueurs culturels poussent des cris d’effroi et quand Hélène Boudreau montre ses seins et son diplôme, d’autres laissent dépasser leur jupon et leur mépris.
Maria Inès Olavarria Perez continue de montrer son visage et son quotidien sur Facebook et quand je la lis, le temps est au ralenti et aux trésors. «Chaque printemps quand il commence à faire un peu plus chaud, mon voisin sort sa plante, une petite plante dans un pot rouge qu’il met sur le bord de sa fenêtre. Il y a de ces gestes anodins comme ça que les humains font dans leur quotidien qui m’attendrissent. J’ai l’impression d’avoir un peu accès à leur jardin secret. Habituellement, mon voisin met sa plante au milieu de la fenêtre, mais aujourd’hui, il l’a déposée dans un coin. Je me suis dit que peut-être, cette fois, il mettrait d’autres plantes pour accompagner sa plante dans le pot rouge. Ça m’a obsédée toute la journée. Et j’ai attendu. Puis attendu encore. Et finalement, j’ai compris quand j’ai vu un gros chat roux aller s’installer confortablement à la fenêtre à côté de la plante.»
Les personnes sur OnlyFans ne sont pas que des femmes.
Ma copine Myriam s’achète un album de Velvet Underground et promet à sa dentiste de sauver son orchidée.
Dans la ruelle, un homme parle de son chien qui, à deux mois, s’autosuçait. Il est allé le reporter à l’éleveur.
J’ai trouvé une lime à ongles Barbie au Jean Coutu.
Une maman me dit qu’il faut préparer les enfants à la mort. «À huit ans, personne ne m’avait dit que ça existait.»
Quand sa mère est morte, elle a cessé de parler pendant trois mois.
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