Texte par: Mélodie Nelson
Je n’ai jamais demandé à un client s’il était marié, si sa femme avait un parfum préféré, s’il en connaissait la forme du flacon, si elle se lavait les cheveux et s’achetait de la lingerie tous les six mois, pour elle ou pour lui ou pour les deux ou sans le savoir, vraiment, qui sait si je me crème pour que ma peau ne crève pas de soif comme moi ou pour être touchée.
Parfois, ils me parlaient de leur épouse et je le prenais comme une offrande.
Un homme me parlait de ses enfants, puis de sa femme, et il avait l’air embarrassé, soudain, comme s’il ne pouvait pas me parler d’elle, mais je hochais la tête, c’est correct, et il continuait à me parler de rénovations, d’un chalet et de croisières. Un autre me parlait d’accouchement, de la vie avec deux jumeaux et de son travail et du travail de sa femme et du manque de sommeil et d’envies.
Après, je ne me suis jamais sentie aussi vulnérable, presque trompée – on ne me trompe pas, on peut me laisser – quand je suis devenue mère, à faire l’épicerie, à comparer les nutriments et le prix des chocolatines et des muffins aux carottes. Je réalisais que je ne pouvais rien empêcher. J’avais choisi d’être mère.
Je ne suis l’épouse de personne mais je suis une mère. Je n’avais jamais voulu de ce rôle, je le racontais aux enfants, puis j’ai vraiment voulu et j’ai dû attendre trois ans, je n’y croyais pas, je pensais que je serais obligée d’écrire pour ne pas m’ennuyer, pour trouver un sens, parce que j’aimais écrire, parce que j’aime les histoires, mais ils sont enfin arrivés et ils sont mes meilleures histoires, mes meilleurs personnages, mes éléments déclencheurs et mes déroulements inattendus.
Une fois, une femme m’a écrit. Ce n’était pas la femme d’un de mes clients. Elle me contactait pour ce que j’avais déjà représenté – l’escorte possible de tous les clients, l’escorte possible de son mari.
Elle m’en voulait.
J’avais réussi à lui répondre. Je cherche depuis des jours son message qu’elle avait envoyé d’un profil confidentiel. Je ne l’ai pas retrouvé. J’ai probablement pris une capture d’écran, pour me prouver que j’étais capable de répondre sans méchanceté, même si j’étais accusée, même si on me voulait coupable. J’avais su comprendre, entre les insultes, un questionnement ou une douleur. C’était une journée où j’étais calme – je me moque de mes phases, je répétais parfois que je prenais la décision d’être bouddhiste à la Courtney Love, tel qu’il l’est mentionné dans la biographie écrite par Poppy Z. Brite.
Je n’ai jamais demandé à un client s’il était marié, j’ai rarement regardé leurs anneaux, je ne connaissais de leurs doigts que leurs caresses et leur maladresse, pas la preuve d’une union. Être escorte n’est pas une trahison, sauf celle d’une sexualité en conformité avec les usages. Je ne pensais pas à leurs femmes. Je n’aime pas penser aux femmes trompées, sauf pour espérer qu’elles se sentent très aimées.
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