La communauté des filles à paillettes sans corde de tampon
Pour tout savoir sur le spray à utiliser dans les bars de danseuses.
Photo par: François Couture
Texte par: Mélodie Nelson
Sur Twitter, elle était Comrade Furby. Sur Insta, Sequinmicrobikini.
Elle est inactive depuis quelques mois. La communauté des filles à paillettes, c’est aussi ça : des personnes importantes, sans qu’elles ne le sachent parfois, rassembleuses, et qui disparaissent. Elles ne portent plus de pleasers et ne manient plus de cravaches. Ou elles continuent, mais éloignées des plateformes.
DANS MON TEMPS, quand les journaux étaient tous en papier et tachés du lait de mes Cheerios avant 9h le matin, il y avait une escorte qui écrivait des lettres ouvertes dans les journaux. Ariane. Avec un nom de famille littéraire. Dans mon souvenir, elle aurait pu l’emprunter à Shakespeare ou à Choderlos de Laclos.
Ce n’était pas possible de communiquer autrement des idées à contre-courant; il n’y avait pas de forum Internet et elle ne voulait pas montrer son visage à découvert, dans des rencontres citoyennes ou des manifestations.
C’est comment, l’après?
Lorsque j’ai publié Escorte, nous avons brièvement échangé ensemble. J’étais si heureuse de ce rapport. Nos discussions, sur des sujets qui nous préoccupaient : est-ce normal de regretter un départ de l’industrie? comment accepter et apprécier un travail au salaire minimum, après? c’est comment, l’après? quels sont les meilleurs jouets sexuels?
Elle terminait des études en rédaction et s’apprêtait à disparaître. Je ne l’ai pas retrouvée. (La page Facebook sur laquelle nous discutions – avec Zahia Dehar, aussi! - a été fermée, car elle était pour publiciser mon livre, et les modérateurs de Méta ont reçu une plainte comme quoi j’encourageais la prostitution. Ce qui n’a jamais été le cas. Quelle tristesse, une possibilité de se retrouver entre nous, travailleuses du sexe de la francophonie et lecteurs et lectrices. Nous étions humaines, alors que les gros titres n’utilisaient que nos jambes ou nos seins pour parler de nous, nous étions humaines et nous vulgarisions nos désirs et nos craintes.)
« Retire tes pleasers. »
De Sequimicrobikini, j’ai gardé des captures d’écran de ses questionnements et de ses élans militants. Elle avait, par exemple, statué que « les femmes noires ont inventé et réinventé l’effeuillage moderne et le pole dance, alors si tu es une stripper ou une danseuse qui ne supporte pas le mouvement Black Lives Matters présentement ou si tu ne demandes pas justice pour les femmes noires, retire tes pleasers. »
Lors de l’adoption des lois FOSTA/SESTA, elle avait averti que l’érosion des libertés virtuelles ne toucheraient pas que les travailleuses du sexe. « Nous sommes réduites au silence, ridiculisées, ostracisées, isolées, accusées de créer des peurs et de trop réagir. Nous nous sommes fait dire qu’en tant que personnes marginalisées socialement, nous méritions ce qui nous arrive. Nous n’avions qu’à trouver "un vrai travail". Lorsque nos droits et nos libertés sont attaquées, c’est une erreur de croire que nous ne sommes qu’un dommage collatéral. Quand les droits des travailleuses du sexe, des personnes avec un handicap, des personnes racisées, des personnes LGBTQ+, des personnes en prison sont révoqués, allant même jusqu'à nous criminaliser, c’est un signe que bientôt ces droits seront retirés pour tout le monde. »
Sequimicrobikini expliquait ainsi les amendements qui allaient permettre de poursuivre et d’accuser toute personne cherchant à se faire avorter ou toute ressource participant à l’organisation d’une interruption de grossesse.
Stripper hack
Elle encourageait aussi le partage de connaissances. Mes captures d’écran révèlent qu’elle avait dévoilé que son stripper hack le plus efficace était l’utilisation de spray amer pour animaux. Elle en appliquait sur ses seins, pour décourager les clients de les lécher.
D’autres danseuses avaient poursuivi et offert d’autres conseils :
« Il faut couper la corde du tampon. »
« Avoir de longs ongles pour prétendre prendre un bump de coke, quand tu veux rester sobre. Utiliser de faux ongles autocollants si pendant la journée tu ne veux pas baiser avec des griffes. »
« Du gel hydroalcoolique sur les mamelons. »
« Je garde un savon en barre, enveloppé dans un tissu, à l’intérieur de mon sac de travail, pour que tout sente frais et propre. »
« Toujours demander du pourboire. »
« Du vinaigre de pomme après le rasage, pour la peau près de mon sexe. »
« Prends du lubrifiant au lieu d’une mousse à raser, si tu dois te raser tous les jours. »
Motorola à rabat et Mary Kay
Je me souviens aussi d’Amélie. Je lui avais parlé à la radio, lors d’une émission à Québec. J’avais pris un verre de blanc et je n’avais pas envie de retourner à l’hôtel. L’éditeur d’Escorte avait pris une chambre pour nous deux et il semblait m’en vouloir dès que je prenais mon cellulaire (un Motorola à rabat! rose!) pour donner un signe de vie à quiconque.
Au téléphone, Amélie m’avait confié qu’elle détestait les expressions escorte, pute, prostituée et travailleuse du sexe. Elle leur préférait le terme de courtisane.
Pour elle, les rencontres avec des clients étaient un art et une façon de connecter, d’influencer l’énergie des autres. Quelques mois plus tard, je la rencontrais lors d’un atelier beauté chez Stella, donné par une ex-escorte devenue comptable et représentante pour Mary Kay. .
Je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Je l’imagine parfois complotiste, avec un quotidien de soins prodigués à des chevaux, qu’elle aimait tant, libres, doux et fougueux.
Une lectrice de Nouvelles Intimes, pour sa part, s’ennuie de Nelly Arcan.
Cadeau?
Cette semaine, j’ai reçu l’offre de donner mon avis pour un documentaire sur l’industrie du sexe. Bénévolement. Le documentaire avait l’ambition de « donner une VRAIE voix aux travailleurs et aux travailleuses du sexe ». Pourtant, nous avons tous toujours eu une voix. Une envie de communiquer, de se faire comprendre, d’être écoutés, de partager nos histoires, nos limites et nos nuances.
Plusieurs personnes me manquent. Je n’étais pas la seule à les suivre, à les lire, à copier leurs conseils et leurs slogans. Plusieurs personnes me manquent et c’est aussi pour elles que j’ai refusé d’offrir mon avis, mes idées, mes réflexions. Nous nous donnons déjà tant et les autres ne reconnaissent pas notre gaze et notre expertise. Ils pensent pouvoir nous donner ou redonner notre voix, en nous proposant par ailleurs encore une fois le rôle d’objet ou d’offrande ou de divertissement.
J’accepterais peut-être d’être payée en vinaigre de cidre.
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Je me souviens d'Amélie qui essayait de m'enseigner les nettoyages énergétiques. Je pense qu'on ne s'est jamais rencontrées, mais elle avait beaucoup d'empathie et c'était touchant de la voir comme ça. J'avais l'impression qu'elle était assez isolée IRL, mais elle se vengeait en prenant soin de son monde en ligne. 🌹