Festival SNAP: performer contre les clichés
«J’avais envie de montrer ces moments qui ne sont ni spécialement sexy ni spécialement glorieux. Juste la vie, quoi.»
Photos par: Marie Rouge
Texte par: Mélodie Nelson
«J’ai travaillé longtemps dans un cabaret érotique comme stripteaseuse et dans des peep-shows assez sordides. J’ai fait de l’assistance sexuelle auprès de personnes en situation de handicap. Là, je suis dominatrice depuis quelques années.»
Quand elle a commencé à expérimenter dans l’industrie du sexe, tout en faisant carrière dans le spectacle classique et la danse contemporaine, Marianne Chargois a conservé son nom. Ce qu’elle revendique et regrette un peu. «J’aurais pu prendre un pseudonyme. Si on tape mon nom sur Google, on voit tout de suite mon activité de travailleuse du sexe.»
Artiste et travailleuse du sexe, elle souffrait de ne se reconnaître nulle part. «C’est comme ça que j’ai commencé à mettre en mots, en images, en performances, certaines choses.»
Elle trouvait qu’il y avait un vide énorme, son quotidien n’étant jamais représenté dans l’art populaire.
«Il manquait l’aspect empowerment que je pouvais trouver dans le travail du sexe, mais aussi, simplement, ce qui se passe avec les clients, les environnements de boulot, les rapports avec les collègues, les blagues.»
Être dans l’industrie du sexe, c’est souvent faire le ménage
Des moments flottants, aussi. «Des détails sur l’ennui, ces petites choses fondamentales. On focalise sur le sexuel dans le travail du sexe, mais c’est tellement plein d’autres choses», constate Marianne Chargois, avant de revenir sur le souvenir de sa performance Autoporn Box BDSM Dissection. «J’avais envie de montrer les moments de ménage, de lessive, de nettoyage de godes après une séance, à moitié en tenue, à moitié à poil, à passer la serpillière. Ces moments qui ne sont ni spécialement sexy ni spécialement glorieux. Juste la vie, quoi.»
Ce vide alimente les clichés. Pour l’équipe du SNAP, un festival que Chargois organise depuis 2018, et se consacrant entièrement à la révélation d’œuvres de travailleurs et de travailleuses du sexe, il faut saisir l’occasion de lutter contre les stéréotypes dans l’espace public.
«Personne ne croit connaître de travailleuses du sexe, explique Marianne Chargois, alors que tout le monde a des travailleuses du sexe dans son entourage».
Se réapproprier ses expériences
L’ambition derrière le SNAP est donc double: pouvoir se rassembler entre travailleurs et travailleuses, mais aussi éduquer la population générale, afin d’aller au-delà du stigma. L’art permettrait donc un début d’engagement, plus qu’une entrevue dans un bulletin de nouvelles ou une manifestation. «L’art ne suffit pas à transformer la vision des autres. Ce serait illusoire, de croire ça. Sauf qu’il nous permet d’introduire de la complexité dans ce que nous avons envie de dire et de montrer.»
Chargois remarque que l’événement donne la possibilité de reprendre du pouvoir, face au monde artistique qui s’arroge régulièrement le droit de raconter des histoires qui ne lui appartiennent pas.
«Il y a énormément d’artistes qui adorent parler de prostitution et de travail du sexe et qui vont prélever de la matière sur notre vécu, sur notre dos, sur nos expériences.»
Au-delà des histoires qui ne sont pas les leurs, les artistes qui ne sont pas dans l’industrie du sexe participent à une accumulation de clichés populaires. «Dans les films, dans les représentations médiatiques, il y a toujours ces mêmes figures de prostituées, de victimes à sauver. C’est important de lutter contre ces stéréotypes, puisque des lois en découlent directement. On voit bien que les systèmes législatifs criminalisant indirectement les tds le font au nom de notre protection.»
Pour le festival, les travailleuses du sexe se permettent de nuancer ce qui l’est rarement dans l’espace public: leurs parcours dans l’industrie. «Parler des violences, des moments qui sont compliqués dans le travail du sexe, parce que c’est comme si, médiatiquement, dans le militantisme, cette possibilité de parler de choses plus complexes nous était complément ôtée, confisquée, par les abolitionnistes et les féministes qui veulent nous éradiquer. Nous n’osons plus parler, parce que sinon c’est retourné contre nous.»
Ce concept de regard autour d’un «sex worker gaze» est cher à Marianne Chargois, qui a notamment élaboré, pendant l’été 2021, en compagnie de Romy Alizée, Gaze.S, une performance autobiographique radicale qui se réapproprie les normes dominantes liées aux expériences des travailleuses du sexe.
Un appel à projets diversifiés
Pour l’édition 2022 de SNAP, elle souhaite recevoir des soumissions diversifiées. «La grosse partie des œuvres existantes et accessibles sont créées par des travailleuses du sexe blanches, de la classe moyenne, de pays occidentaux. Ce qui est à peu près mon profil. J’en ai conscience.»
L’idéal est de tendre vers l’acceptation de tous les projets, sinon de trouver une autre façon de visibiliser le travail. Les œuvres prennent souvent des formes DIY. Marianne Chargois explique que beaucoup de créatrices ont recours à cette facture punk puisque les représentations dominantes de l’industrie sont souvent celles de l’impuissance, de la passivité, de la souffrance.
«Nous voulons pourtant montrer ce qui est hyperpuissant pour nous, hyper je vous emmerde. Nous sommes des battantes. Je fais ce que je veux avec ma chatte et avec mon cul.»
Si un changement global survient, si des nuances arrivent enfin dans l’espace populaire, Chargois est curieuse de voir ce qu’elle recevra alors comme œuvres. Cependant, l’organisatrice de SNAP refuse de rester patiente et naïve. «Nous n’attendons pas d’avoir l’autorisation d’autrui pour créer, ou d’avoir des diplômes en art. Nous n’attendons pas que des personnes formées artistiquement s’intéressent à nous.»
Pour soumettre vos projets, vous pouvez compléter le formulaire ici.
Cette édition du Festival SNAP se déroulera du 27 au 29 Mai 2022 à Bruxelles, en Belgique.
Les projets portant sur le travail sexuel ou sur les échanges économico-sexuels - que ce soit des écrits, des performances, des films, des photos ou des dessins - peuvent être soumis jusqu’au 31 janvier 2022.
La seule nécessité: que la création soit signée par des personnes elles-mêmes travailleuses du sexe (ou l'ayant déjà été), ou élaborée en collaboration active avec des travailleuses du sexe.
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