Comment ne pas penser à acheter de la litière en baisant
«Je suis excitée par ce qui risque d'arriver ou pas. J'aime le fait d'être vulnérable, de "subir" quelque chose. J'aime respecter les interdictions ou les ordres. Je me concentre beaucoup là-dessus.»
par Mélodie Nelson
Un des regrets les plus constants dans les confidences recueillies à propos des pensées provoquées ou pas lors d’une relation sexuelle : la difficulté de profiter de l’instant présent.
«Je pense à tout et à n’importe quoi. Je suis parasitée par des pensées intempestives qui m’empêchent de profiter du moment», affirme Morane. «J'aimerais que mon cerveau soit capable de rester concentré sur le sexe. Surtout que mes deux amoureux sont vraiment bons au lit», renchérit Cordélia.
Un abandon plus facile que d’apprendre le russe dans son sommeil (mon but dans la vie)
Pour certaines personnes, ça semble presque facile, être entièrement stimulées par la réalité immédiate. «Mon imagination est plus utile en solo», explique Romance. L’acte sexuel est si «viscéral» pour Christine qu’elle n’a jamais songé à quoi que ce soit d’autre. «Je pourrais baiser toute une nuit sans jamais m'en lasser, tant j'éprouve du désir pour mon partenaire, tant je l'aime.» Quant à Barbara, elle assure qu’elle réussit à faire le vide, à lâcher prise complètement, «concentrée à cent pour cent» sur les réactions de son corps. «Je pense à mon chum. C'est le moment que je prends pour décrocher réellement», constate pour sa part Louise.
Pour d’autres, ça dépend des activités impliquées. «En baisant, je ne pense à rien. Je suis dans un abandon total. Je jouis beaucoup et assez rapidement. Lorsque je reçois un cunnilingus, c’est un peu plus long pour moi de jouir. Je fantasme sur des femmes. C’est pareil quand je me masturbe», dit Anaïs.
Sarah considère plutôt que c’est lorsque sa sexualité est plus «vanille» qu’elle va laisser son esprit se distraire par d’autres fantaisies. «Je fais partie de la communauté BDSM. Ça implique pour moi une attention particulière à ce qui se passe autour de moi, sur moi, en moi. Je suis excitée par ce qui risque d'arriver ou pas. Ça me stimule. J'aime le fait d'être ultra vulnérable, de "subir" quelque chose. J'aime respecter les interdictions ou les ordres. Je me concentre beaucoup là-dessus.»
Les défis d’une libido en berne et d’un trouble du déficit de l’attention
Roxane s’ajuste à une libido massacrée par la pandémie. «Mon chum est plutôt rapide puisqu’on ne fait pas l’amour souvent, depuis le confinement. Je me concentre fort sur mes orgasmes parce que sinon, je reste sur ma faim. Je pense aussi que je me sens un peu coupable si je pense à autre chose ou à une autre personne.»
Émile suppose que ça dépend de s’il donne ou reçoit. «Recevoir, c’est s’abandonner et apprécier chaque caresse, espérer que cela dure longtemps, car c’est trop bon... Si c’est donner, il y a un mélange entre accepter le moment immédiat, mais être aussi très attentif à l’autre, si on lui fait du bien. Les meilleures fois surviennent quand ça devient comme une danse intuitive. J’ai plus de plaisir à donner.»
Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) semble aussi être un défi à relever dans l’intimité. Maude trouve difficile de ne pas être distraite. «Mon truc est de presque toujours fermer mes yeux, afin que mon attention ne soit pas sollicitée par un quelconque objet random dans la pièce. Je me concentre activement sur mon corps et sur les sensations tactiles. Je trouve ça presque méditatif!»
Quand Éric ne se concentre pas sur sa respiration, il en vient parfois à retenir son souffle, ce qui provoque «une position inconfortable» et une éjaculation plus rapide. «Si je pense à bien respirer et à ancrer mon corps, je suis plus dans le moment présent que dans ma tête. Autrement, il y a le risque que ça dérape sur "heille, faudrait que je fasse mes lunchs, appelle ma mère, sorte les poubelles."»
«Je trouve qu'on a tendance à intellectualiser nos émotions, alors qu'elles sont très physiques.»
Généreusement, Julie partage sa démarche, qui lui a permis de sortir de sa tête pour mieux habiter son corps. «C’était trop facile pour moi de disparaître dans mes pensées et de rater complètement l'instant que je vivais. Je me suis longtemps sentie déconnectée de mon corps, un des effets de la contraception hormonale, au point de ne juste plus ressentir de plaisir.» Elle insiste: «Je ne veux plus vivre cela.»
Les dernières années, elle a adopté une approche globale, pour s’arrimer à toutes ses expériences corporelles. «La lecture de Come As You Are, d'Emily Nagoski, a été très révélatrice. Je recommande fortement ce bouquin. Si je me surprends à avoir des pensées parasites, je me dis habituellement: "Be Here Now!" C’est dramatique à souhait et tout à fait mon genre. Sinon, je fais aussi régulièrement des check-in avec mon corps, peu importe l'émotion que je ressens. Je trouve qu'on a tendance à intellectualiser nos émotions, alors qu'elles sont très physiques. Il faut réapprendre à reconnaître comment elles se manifestent dans notre corps.»
Comme je ne jouis pas avec un pénis en moi, c’est peut-être plus simple de me concentrer uniquement sur mes sensations, les bruits de mon partenaire et la lumière chez le voisin. Je n’ai pas d'attentes, sauf que chaque baise soit comme une thérapie/un manège à La Ronde/une sieste et que si je n’ai pas de foutre en moi à la fin, je n’en veux pas non plus dans les yeux. Je n’ai aucun conseil à donner, sauf celui de ne pas déménager à Tremblant si tu es mon amie et de ne pas commencer une querelle sur Facebook juste avant d’ouvrir la bouche pour autre chose que des oursons en gélatine.
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