Comment les travailleuses du sexe jouissent avec leurs clients
« Il ressemblait à un ancien collègue libraire, que j’ai revu des années plus tard à une activité de Noël organisée par les Familles Chrétiennes de Montréal. »
par Mélodie Nelson
Je ne jouis pas facilement : je dois avoir le silence total et être couchée sur le dos, dans mon lit, cachée de tout, avec la lourdeur des draps et d’une couverture et d’une jetée sur mon corps. Jouir avec quelqu’un me demande beaucoup de confiance et d’abandon.
Cet abandon n’était pas très commun quand j’étais escorte : je devais garder en tête les minutes passées avec le client, la douche à prévoir avant un autre et ce que j’achèterais plus tard au marché ou à la Senza avec mes billets de vingt dollars.
Escorte, je m’étais aussi dit que je devais rester moi-même, sinon je me perdrais. Ce n’est pas toutes les personnes de l’industrie qui ont cette stratégie. Moi, j’en avais besoin. J’avais changé de prénom, mais je refusais de cacher mes études, mon amoureux, mes parents à Repentigny et mes gémissements qui ne terminaient pas à tous coups en orgasme. Pourtant, certains hommes étaient prêts à s’imaginer que je jouissais dès qu’ils me sentaient mouiller et soupirer. Je le lisais sur des sites de clients qui racontaient leurs aventures avec des travailleuses du sexe : « Nous sommes allés sous la douche. Sous les jets d’eau chaude et mes doigts qui stimulaient son bouton charnu, elle a joui à répétition. » J’aurais bien voulu, mais non.
Une surprise, d’apprécier son travail?
La première fois que c’est arrivé, j’étais surprise. J’étais couchée, les fesses sur le rebord du lit. Un homme ni beau ni laid, très quelconque, avait la bouche entre mes jambes ouvertes. Il ressemblait à un ancien collègue libraire, que j’ai revu des années plus tard à une activité de Noël organisée par les Familles Chrétiennes de Montréal. (J’aime vraiment ce genre d’activités; ce n’est pas du tout pour me racheter aux yeux de Jésus. Jésus aime les travailleuses du sexe.) J’ai joui et maintenu sa tête entre mes cuisses. Chaque fois qu’il venait me voir j’espérais qu’il voudrait payer un extra pour me lécher.
(Ce n’est pas parce que nous jouissons que les escortes ne devraient pas demander une somme en échange. Il faut absolument que les clients cessent de faire la même blague plate à la « c’est toi qui devrais me payer ». Avoir du plaisir et aimer son travail n’est pas proscrit dans les autres professions, non? Les clients souhaiteraient vraiment que les travailleuses du sexe s’emmerdent et baillent pour avoir l’impression de rentrer dans leur argent?)
Beaucoup de travailleuses du sexe semblent aussi étonnées que moi quand ça leur arrive.
Pour Emma*, ce n’était pas une surprise agréable. Elle était sous antidépresseurs et croyait que ça lui retirait toute libido. Avec son partenaire habituel, même quand il la léchait pendant une heure, elle ressentait surtout de la déception. « Mon client bavait sur mon nombril. Il puait. Ça faisait un an que je n’avais pas joui et que je n’avais pas envie de me toucher, et il m’a fait jouir. J’ai regretté. C’était comme un orgasme perdu, volé. » Elle aurait préféré vivre cette complicité avec quelqu’un qu’elle appréciait.
Une jouissance à dissimuler
Sabrina* me révèle que son premier orgasme était avec un client. « Je pensais que je savais c’était quoi jouir. Je lisais des revues et ça me parlait de frissons et je les avais connus, les frissons. Un client m’a montré que je n’en savais vraiment rien. Il m’a prise à quatre pattes et il me touchait le clitoris. Je m’étais moi-même jamais touchée comme ça. Je sentais son souffle si proche de mon oreille. Il arrêtait pas de dire des mots que j’aurais pu trouver vulgaires. Je me suis sentie chaude et j’ai su que j’allais jouir mais je le lui ai caché. Je ne voulais pas avoir l’air en manque. Je voulais rester un peu déconnectée », m’écrit-elle.
Les danseuses ont parfois des contacts intimes avec les clients. Venice* avait régulièrement des orgasmes, simplement en se frottant sur les jeans des hommes venus la rencontrer au bar. « Les joggings ça m’écœurait. Le pénis est trop lousse. Souvent ça se passait avec des hommes doux et vieux, qui faisaient juste me flatter. Moi je ridais telle une cowgirl! » Elle ne les laissait pas connaître son plaisir, ne sachant pas si c’était commun. « Je pense que les autres filles n’étaient pas toujours en mode grinding comme moi…et je ne voulais pas donner ce pouvoir aux clients. Je profitais de leurs jambes et c’est tout. Clito power », résume-t-elle.
Les bars de danseuses délaissés depuis le début de la pandémie au Canada, Venice se laisse animer par une nostalgie extatique. « Je suis monogame et des fois encore, avec mon conjoint de fait, je me rappelle de moments excitants au bar. C’est comme si ça continuait à m’aider à jouir, même après. »
« Il crachait de gros glaires dans un cendrier, pendant qu’il me léchait. »
Certaines jouissances sont plus perturbantes. Farrah* reste troublée par la seule fois qu’elle a joui avec un client. « Je pense que je m’en voudrai toute ma vie. Il était remplaçant dans des écoles primaires et photographe. J’ai compris après coup qu’il était attiré par les petites filles. Il m’a bouffé la chatte et j’ai eu un orgasme. Ça m’a profondément dégoutée et hantée. C’était un fumeur et il crachait de gros glaires dans un cendrier, pendant qu’il me léchait. » Elle est allée suivre une thérapie EMDR (eye movement desensitization and reprocessing) pour dépasser ce traumatisme. Pendant que sa thérapeute encourageait des mouvements oculaires particuliers, Farrah devait répéter sans cesse son expérience. « Je suis capable d’en parler maintenant sans vouloir vomir. »
The Center of the World, un film de Wayne Wang qui m’a profondément marquée, rend compte des frontières entre le fantasme et le réel. Peter Sarsgaard s’y retrouve en client qui agresse sexuellement une danseuse, jouée par l’actrice canadienne Molly Parker. Il semble frustré de la non-réciprocité des sentiments qu’il a commencé à éprouver pour elle. Il suppose qu’elle l’a trahi, qu’elle ne propose que des faussetés, depuis leur rencontre. La danseuse attend qu’il se répande en elle et elle se touche, jusqu’à jouir, en lui assénant : « Tu veux voir quelque chose de vrai? Je vais te montrer ce qui est vrai. » Comme si la jouissance, qu’elle soit secrète ou non, préservée des clients ou des autres fréquentations, était le dernier rempart entre le mensonge et ce qui est encore possible de ressentir.
*Les prénoms ont été changés pour protéger l’identité des personnes concernées.
photo par Myriam Lafrenière
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Je jouis toujours avec mes clients. j adore ça.
J'ai souvent pensé que les escortes avaient cet avantage sur kes prostituees qu'elle pouvait jouer un rôle de GFE et dans CE CAS se laisser aller à la JOUISSANCE.
Pour une escorte s'autoriser à jouir implique de JOUER à la GFE... pas de vivre un sentiment .... et donc de faire la part des choses .... savoir qu'il n'y aura pas de suite sentimentale , juste un suivi avec un client fidèle ... il faut une sacrée volonté et force pour arriver à cela