Photo par: Myriam Lafrenière
Texte par: Mélodie Nelson
La seule fois que je suis allée au 281, c’était pour l’anniversaire de dix-huit ans d’une amie. Elle s’appelait Mélissa, avait une voix grave qui portait, comme une comédienne au théâtre, et habitait à Montréal, entre Rosemont et Hochelaga-Maisonneuve, près du Jardin botanique.
Je ne connaissais personne qui habitait à Montréal quand j’étais au cégep, sauf deux filles qui habitaient en colocation et qui avaient invité tous les élèves d’arts et lettres pour une célébration de fin d’année.
Ça s'était terminé en séance de vérités ou conséquences, mais j’étais partie avant, parce que je m’ennuyais et que mon professeur préféré m’avait crue trop rapidement quand je lui avais dit que j’étais vierge (c’était l’époque American Beauty et puisque je parlais toujours de sexualité, ça cachait inévitablement ma pureté).
Je ne portais pas de petite culotte, mais personne ne voulait me baiser, pas même un autre professeur avec qui j’avais jugé des courts métrages étudiants et qui, finalement, avait été renvoyé quelques années plus tard car il baisait des étudiantes mineures.
Je l’ai souvent dit, être nue ou presque nue est un déguisement qui protège plus qu’il ne compromet.
Au 281, nous nous étions installés, quatre filles et un gars, à une table en coin. Il était tard et nous n’avions pas eu à faire la file.
À l’extérieur du bar, il y avait régulièrement une dizaine, une vingtaine de femmes souriantes, qui attendaient pour entrer. Je me demande elles sont où, ces femmes, alors que le bar n’existe plus, est-ce qu’elles jouent au tennis?
Ces files de célébrations, alors que pour les bars de danseuses, tout est plus caché. Des hommes qui fument des cigarettes devant une enseigne, parfois, mais le divertissement reste méprisé, les clients ne sont pas entourés d’amis sur le trottoir et n’ont pas droit aux regards complices et conciliants des passants.
Je ne sais pas quel breuvage que j’avais commandé, mais il était arrivé dans un petit verre, couleur rubis et goudron. Nous n’étions pas restés longtemps. Il y avait des danseurs habillés en cowboys et avec beaucoup de bananes à faire manger à des femmes extatiques. Chez Mélissa, nous avions écouté un de ses films préférés, Pretty Woman.
Les bananes sont peut-être un accessoire répandu dans les bars de danseurs, mais une publication sur Facebook de la journaliste et autrice Pascale Lévesque m’a donné envie de chercher ce qui peut sembler parfois incongru dans ces lieux qui se mériteraient une anthologie : « Je sais pas c’était quoi la chorégraphie au programme hier soir au Lady Mary-Ann, mais quand je suis passée devant sur Charest, des gars ont sorti d’un pickup 4-5 bouées de sauveteurs et un bouclier de gladiateur pour ensuite entrer dans le cabaret. »
Plusieurs personnes m’ont confié ce dont ils avaient été témoin, quand j’ai posé sur le compte Insta de Nouvelles Intimes cette question : « Qu’est-ce que vous avez vu de plus étrange dans un bar de danseurs/danseuses? »
« Un gars déguisé en sirène (dans un bar de danseuses nues à New York). »
« Une grand-mère, une mère et sa fille travaillant sur le même plancher. »
« Plus d’une rupture entre une danseuse et un loser. »
« J’ai surpris un serveur sur une application tactile, sur son cellulaire, pour masturber le clit. »
« Un bachelor party où le futur marié était déguisé en bébé. Il avait 55 ans. »
« Une roulotte au fond du rang à Saint-Félicien, avec le stage en plywood sur des caisses de lait. »
« Des bouncers lame as fuck qui ne protègent pas les danseuses, bien étrange. »
« Une grand-mère arrive alors que son mari est dans l’isoloir. La famille a rushé. »
« Du savon à granules de shop (FAST Orange) dans les toilettes. Et les filles se lavaient avec. »
« Un couple érotique formé de deux sœurs (elles l’étaient pour vrai). »
« Le concours de la balle de ping-pong et de la tasse solo…Et le décapsulage de bière… »
« Un tatouage Property of Hell’s Angel’s MC sur le cul d’une danseuse. »
« Un gars complètement coké qui faisait des moves de ninja et qui me disait que j’étais la CHEFFE. »
Le spectateur du concours de la balle de ping-pong sortait pour la première fois dans un bar de danseuses. Celui qui a admiré le tatouage a aussi contemplé un capot de Trans-Am accroché au mur comme décoration. Le bar avec du savon de shop est maintenant fermé, après un incendie. « C’est une sacrée chance. Ils n’avaient aucune considération pour leurs filles », me confirme un ancien habitué empathique.
Et moi, je suis toujours vierge.
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