Quand Nelly Arcan est morte, je travaillais à la Grande Bibliothèque. Je n’étais plus escorte. La dernière fois que je l’ai croisée c’était début septembre, en 2009. Elle fumait seule des cigarettes, lors du lancement automnal d’une maison d’édition de livres jeunesse. Je ne savais pas quoi lui dire, moi, plus jeune qu’elle, avec mon jean qui tombait sous ma taille, et elle, avec son aura et sa blondeur d’étoile filante.
J’avais écrit ce texte, deux jours après son décès. Quand je le relis, je me vois en manque d’appartenance, et je me demande ce que j’écoutais comme musique, si c’était encore la trame sonore du film Les Chansons d’amour.
Nelly Arcan est décédée le 24 septembre 2009. Elle peut toujours être lue. Elle peut toujours bouleverser d’autres petites filles de Marilyn.
Texte par: Mélodie Nelson
I am involved in a freedom ride protesting the loss of the minority rights belonging to the few remaining earthbound stars. All we demanded was our right to twinkle.
(Marilyn Monroe)
Je ne voulais pas être blonde, je n’avais pas le droit, il fallait que je garde mes cheveux longs, et foncés, et mes seins tout plats, déjà qu’on me disait, à l’école, tu écris sur le cul, tu te prends pour Nelly, je ne voulais pas rivaliser avec Nelly, j’avais seize ans, ou dix-sept ans, j’ai toujours retranché une année ou deux, moi aussi, à mon âge, j’aimais Nelly, je la trouvais belle, dangereuse et brillante dans ses angoisses, mais je ne connaissais pas son monde à elle. J’étais gratuite, moi.
A sex symbol becomes a thing. I just hate to be a thing.
(Marilyn Monroe)
Personne ne pouvait se comparer à Nelly, tout le monde pouvait l’aimer, encore plus maintenant qu’elle est morte. Tout le monde pouvait la détester, la rendre fausse, la critiquer, répéter qu’elle était une whore, trop blonde, et qu’elle portait des jupes trop courtes, mais Nelly était plus vraie que vraie, je ne la connaissais pas, pas vraiment, je la connaissais à la croiser, parfois, et grâce à ceux qui me parlaient d’elle, qui prenaient un verre avec elle, ou qui l’avaient baisée, she was exceptionnal, but cold.
Si Nelly était obsédée par Marilyn, moi j’étais obsédée par Nelly, et même à quatre pattes, dans une chambre d’hôtel, je posais des questions, how much was she asking for a bbjtc?
Dans ses livres, j’indiquais mon nom, puis la date de mon achat, et ce que je portais ce jour-là, pour Folle c’était une robe avec des poissons tropicaux, et pour À Ciel Ouvert, des skinny jeans Miss Sixty et un t-shirt blanc, et dans À Ciel Ouvert, il y a des pages cornées, avec des traces de chardonnay, je voulais faire comme ses personnages, qui se saoulaient toujours au Plan B.
Je m’étais finalement teint les cheveux en blonds, trop platine, c’était un gai qui n’aimait pas mon maquillage qui me coiffait, et qui me comparait à Marilyn, je disais non, ce n’est pas moi, elle, et je continuais à me comparer, à regarder Nelly sur des photos, à vouloir sa bouche, à trouver dommage de n’avoir demandé à mon chirurgien que des 34C. Nelly avait des plus gros seins que moi, Nelly devait avoir des plus beaux mamelons que moi, Nelly serait toujours plus blonde que moi.
C’est un ami, ce matin, qui m’a envoyé un courriel, dans lequel il me demandait de lui téléphoner, dès que j’aurais lu son message. J’avais mal à la tête, même si je n’avais pas bu la veille, et j’avais mal composé son numéro deux fois, avant de lui parler, il y avait derrière lui beaucoup de bruits, je ne lui ai pas demandé où il était, et il m’a dit je ne pouvais pas te l’écrire, Nelly Arcan s’est suicidée. Nous avions parlé d’autres trucs, de son weekend à Québec, du livre que je lisais, Hos, Hookers, Call-Girls, and Rent Boys: Prostitutes Writing on Life, Love, Work, Sex, and Money, et je sentais des larmes sur mes joues, mais je voulais rire, je ne voulais pas raccrocher tout de suite, je ne voulais pas qu’après Nelly, il n’y ait plus rien.
Marilyn suicidée sera la seule à comprendre la nature de mes attentes.
(Carole Massé, Les petites-filles de Marilyn)
J’avais retouché mon gloss Mother Pucker vingt mille fois, pendant la journée, je m’étais promise d’être jolie, avec mes méga boucles aux oreilles, en forme d’étoiles filantes, et de ne pas oublier Nelly, pas aujourd’hui, ni demain, ni jamais, parce qu’elle avait tout risqué, plusieurs fois, le risque comme unique vérité, sur une table d’opération, dans une chambre d’hôtel ou devant un ordinateur, et chez elle, finalement, chez elle, je ne sais pas comment, et j’espérais qu’au ciel, elle était bercée, comme une petite-fille de Marilyn, par ceux qui la reconnaissaient, avec ses yeux de shtroumphette qui ne connaîtrait plus ni détresse, ni chardonnay.
J’ignore ce que je deviendrai.
Je n’ai pas le choix de devenir ce que je deviendrai, et que j’ignore pour l’instant.
On est obligé de faire ce que l’on fait sans même y penser.
Alors partir ou rester, ça revient au même.
Alors je le répète, j’aime ceux qui partent.
Pourtant ils n’ont pas plus le choix de partir que je ne l’ai de rester.
Mais j’ai choisi de l’accepter.
(Carole Massé, Les petites-filles de Marilyn)
Nouvelles intimes est un espace de liberté et d'exploration de sujets plus tabous en société. Pour ne manquer aucune édition de cette infolettre signée Mélodie Nelson et Natalia Wysocka, et pour lire nos parutions précédentes, suivez-nous sur Instagram au @nouvellesintimes et abonnez-vous au nouvellesintimes.substack.com.
Des commentaires, des questions, une histoire à nous partager? Écrivez-nous au nouvellesintimes@gmail.com.
Beautifully written as always.... thank you ❤️