À quoi rêvaient les travailleuses du sexe quand elles étaient plus jeunes
«Lynda Carter, en Wonder Woman, est brillante et réussit à forcer les gens à lui dire la vérité, quand elle les attache…»
Texte par: Mélodie Nelson
C’est un questionnement qui revient souvent, comme si les jeunes filles n’étaient pas encore autonomes de leurs désirs, mais seulement de l’odeur de leur désodorisant : certaines personnes veulent des explications quant à mon idée, dès mes seize ans, de devenir escorte.
Je le répète. C’était une curiosité par rapport à des femmes qui me fascinaient, mais qui n’étaient pourtant pas acceptées par la société. Ça les rendait sans doute encore plus importantes pour moi, des héroïnes rebelles armées de robes moulantes, de talons hauts et de fond de teint qui ne disparait pas après un masque au liquide séminal. Je voulais me rapprocher d’elles et de leur savoir, et me rapprocher des secrets des hommes qui allaient les voir, qui leur offraient des cadeaux et de l’argent, mais qui ne réussissaient jamais vraiment à les avoir, elles. Ces femmes, elles ne sont à personne, et c’est peut-être ça que je cherchais. N’être à personne mais à tout le monde un peu, si je pouvais bien le planifier, par heure et par nuit et par lit.
Ça peut choquer, mais ce n’est pas mon idée, de choquer. Je crois que les personnes pensent que je provoque quand je ne fais qu’établir ce qui est ma réalité et celle de beaucoup de femmes que je côtoie. Ne pas comprendre est normal; être inconfortable devant ce que nous ne comprenons pas aussi. Moi, à seize ans, je voulais me projeter dans l’avenir, être payée pour baiser, avoir du rouge sur les lèvres, devenir presque une espionne, trouver la recette de la Caramilk et lire jusqu’à cent ans les histoires embarrassantes dans le Cosmopolitan.
À seize ans, j’avais bu une fois du jus d’orange avec un peu de vodka et une aspirine et j’avais juré que j’avais été dans le coma après. J’étais super pure, mais j’avais envie de plein d’histoires. Je portais toujours de grosses culottes délavées, des jupes à carreaux parce que j’aimais Clueless, je fantasmais sur mon professeur de français et j’étais très fière quand il me félicitait de lire Nadine Bismuth et Paul Auster. J’avais baisé quelques garçons et ce n’était jamais très bon, j’avais envie que ce soit bon ou juste envie de pouvoir me reposer, parce que c’est quand même reposant, être couchée, ouvrir les jambes, ne pas avoir à étudier, ne pas avoir à réfléchir au bal de finissants ou aux autres élèves qui m’aimaient ou qui ne m’aimaient pas.
Moi, j’aimais le savon à la poire de Dans un jardin, je me rasais les jambes, j’écoutais Tori Amos et je voulais être escorte.
J’étais contente de m’apercevoir qu’après avoir parlé de cette envie-là à l’émission Le monde à l’envers, Dani Marie, une « petite amie à temps partiel, mais princesse à temps plein », empruntait justement ce sujet de discussion sur Twitter.
«C’est drôle quand les gens argumentent qu’aucun enfant n’a grandi en rêvant d’être une travailleuse du sexe. Parce que dès que j’ai vu Girls Next Door, je savais très bien ce que je voulais faire.»
Être escorte n’est pas toujours la carrière de rêve des personnes qui se retrouvent dans l’industrie. Parfois, un manque d’options les pousse à offrir des services sexuels, ou le coût de la vie augmente tellement que travailler dans un salon de massage est une décision avant tout économique, pour pouvoir continuer à payer son logement, son pain aux raisins et ses rendez-vous médicaux. Mais pour d’autres, et elles ne sont pas anecdotiques, être dans l’industrie est la réalisation d’un désir réel, parce qu’un travail dans lequel tu peux porter une minijupe et écraser ton visage dans un oreiller, c’est quand même chouette.
Dani Marie a reçu plusieurs réponses, et j’étais heureuse de la transparence des autres escortes, et impressionnée par le pouvoir de la culture populaire.
«Aucun enfant ne rêve de devenir un processeur de prêt non plus.»
«Je voulais vraiment perdre ma virginité quand j’avais quatorze ans. J’ai tenté de la vendre à dix-huit ans. J’ai obtenu une note du docteur comme quoi j’avais un hymen très épais, mais les agences et les bordels me refusaient.»
«Honnêtement, c’est tellement étrange que ton travail doit être perçu comme une destinée inspirante. Un travail est un travail. Je ne voulais pas faire quoi que ce soit quand j’étais enfant, mais je rêvais d’être Sailor Moon, une astronaute et une chirurgienne, et je suis quand même proche de tout ça d’une certaine façon, non?»
«Je suis allée à Vegas quand j’avais douze ans et mon père a ramené des cartes de strippers. Quand je suis retournée chez moi, j’ai dit à mes amies que je voulais devenir une stripper. J’ai dû me faire laver la bouche avec du savon, mais voilà, je suis une stripper, maintenant.»
«Je pense que plusieurs petites filles se rendent compte inconsciemment des dynamiques de pouvoir et réalisent à quel point les femmes dans leur vie y sont soumises. Je sais que je voulais du pouvoir. Mon modèle était Britney Spears. Être témoin de comment elle s’exprimait à travers son corps et sa sexualité, avec toutes ses contradictions aussi, faisant face à sa propre objectification… Je ne suis pas surprise d’avoir choisi un travail qui me donne un sentiment d’autonomie corporelle, ce qui est, ultimement, un pouvoir incroyable.»
«Playboy, Pamela Anderson, Carmen Electra, la liste est sans fin. Je voyais ces femmes sexy et comment elles monnayaient leur séduction. Je savais que je voudrais avoir une profession dans laquelle mon énergie sexuelle serait récompensée.»
«Les films Striptease, Night at the Blue Iguana, tellement beaucoup d’autres. Quand je voyais des travailleuses du sexe, je voyais des femmes qui avaient du pouvoir et qui utilisaient les ressources qu’elles avaient pour subvenir à leurs besoins. Elles étaient si talentueuses et fucking hot. Je ne comprends pas que nous ne les voyons pas comme des inspirations.»
«C’est comme si les gens étaient incapables d’imaginer que des femmes veulent vraiment avoir des relations sexuelles. Ils ne veulent tout simplement pas comprendre que nous pouvons aimer ça.»
«Je me souviens que je voulais du vernis à ongles rouge quand j’étais enfant et ma mère m’avait dit que c’était la couleur que seules les prostituées pouvaient porter. Je suis fascinée par leur monde depuis.»
«J’ai la preuve. Je l’ai écrit dans mon journal intime, à seize ans. J’ai écrit que j’espérais être une prostituée, parce que je n’avais pas d’argent.»
«La sexualité et les femmes sexy m’ont toujours captivée. J’ai toujours su que je deviendrais une travailleuse du sexe.»
«Mon plus vieux souvenir est une professeure de maternelle qui a dit que Marie Madeleine, dans la Bible, était une lady of the night. Ça m’a tellement intriguée.»
«Lynda Carter, en Wonder Woman, est une personne si brillante et elle réussit à forcer les gens à lui dire la vérité, quand elle les attache...»
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